Chronique d'une instit

Une semaine avec moi 

 LUNDI 

 Une semaine commence. En général, j’ai profité au maximum de mon week-end. Je me suis aéré la tête, mises à part une heure ou deux heures pour terminer de préparer ma classe. Comme je m’avance beaucoup les jours précédents, je peux m’adonner à mes loisirs favoris les samedis et dimanche. Je reprends le chemin de l’école de bons pieds, reposée, prête à « attaquer » ces cinq jours intenses ! Les enfants, ça n’est pas tout à fait pareil… Deux jours de coupure durant lesquels ils se sont souvent couchés plus tard ont pour effet de malmener leur rythme biologique et de leur rendre la reprise plus difficile : petite forme, petits yeux, petite mine… La plupart sont tout de même contents d’être là (il y a des indices qui ne trompent pas !). Pour commencer en douceur, je leur propose systématiquement une séance de langage oral dès 8 h 30, lors de laquelle ils répondent à ces deux questions : « Comment te sens-tu ? Peux-tu nous expliquer pourquoi ? » Deux clans se forment alors : - Ceux qui ont pu faire des activités en famille. - Ceux qui ont passé le week-end à regarder la télé ou la tablette, dans leur coin, tout seul. Les premiers se sentent en général heureux, ravis, en forme, fiers, etc. Les seconds sont souvent contents d’être là, motivés pour travailler (si ! si !), se sentent bien, mais sans plus. La journée se déroule assez vite. Le temps a plus d’énergie que le groupe ! Je les traîne tant bien que mal, les stimule au possible jusqu’à 16 h 30. Vous imaginez bien mon état après cette performance. Les corrections faites, je retourne dans mon nid douillet, plus calme… 

 MARDI 

C’est un jour que j’aime bien. Le fait qu’il soit à la veille d’un jour passé à la maison y fait beaucoup, mais pas seulement. Les enfants ont souvent retrouvé un bon rythme de travail. Ils sont de bonne constitution, motivés et entrent plus vite dans les activités proposées. C’est le jour idéal pour commencer de nouvelles notions, ils sont open ! L’école est une mini société avec ses lois, sa hiérarchie, son fonctionnement démocratique (à travers notamment les conseils de classe et les conseils de délégués). Les enfants y grandissent et s’épanouissent pour devenir de futurs citoyens. Dans ma classe, chacun d’eux a, à tour de rôle, une responsabilité pendant deux semaines (relever les feuilles de cantine et d’étude, distribuer les cahiers, écrire la date, vider la poubelle de tri, etc.). Si elle n’est pas accomplie avec soin ou si elle est oubliée, c’est tout le groupe qui en pâtit. Et déjà se profilent certaines personnalités : celui qui s’implique totalement dans son rôle, souvent avec beaucoup de plaisir et de fierté, celui qui accomplit sa tâche parce qu’on le lui a demandé et qu’il ne veut pas désobéir (mais qui n’y trouve pas vraiment d’intérêt, et vient enfin celui qui oublie régulièrement – voire quotidiennement – de la faire, ou pire, l’exécute sans conviction, n’importe comment. Celui-là n’a pas la notion de groupe (on pourrait l’appeler « l’enfant narcissique ») et n’a pas conscience de l’impact que peuvent avoir ses actes ou ses manquements. Bien évidemment, je suis là pour veiller au grain, les recadrer, rappeler l’importance de leur rôle pour la classe et pointer du doigt ce que leur négligence entraîne. La journée terminée, si j’ai l’énergie, une fois rentrée, je travaille mes prochaines séances, sinon, après avoir papoté de tout et de rien avec mon chéri, je m’affale dans le canapé et je lis ou j’écris ou bien je ne fais rien et je profite de nouveau du silence… 

 MERCREDI 

Ce jour-là, je traîne un peu au lit, mais juste un peu, car très vite mon cerveau se met en route et me rappelle ce que je dois faire dans la journée. La majeure partie de la matinée est destinée au travail scolaire : préparations, corrections, recherches pour la semaine suivante. Je m’arrête vers midi, mon estomac me rappelant qu’il est important de le ravitailler. L’après-midi est réservé à quelques tâches contraignantes, mais nécessaires pour le bon fonctionnement d’un foyer, puis, et surtout à mes passions : la création en couture, tricot ou écriture. Ces activités m’aident à faire le vide et à m’épanouir aussi. J’adore « mettre au monde » du beau pour les autres. En fin d’après-midi, je me rends à mon cours de yoga, grand moment de détente et d’état de conscience de moi. JEUDI La fatigue commence à se manifester et rend ma sortie du lit plus difficile. Chez mes élèves aussi. Pour beaucoup d’entre eux, le mercredi n’est pas un jour de repos à la maison : levés tôt comme les autres jours, journée passée au centre de loisirs, cantine le midi. Bref, une journée pas très relaxante ou reposante même si les activités pratiquées sont plus ludiques. En classe, cela se traduit par des enfants agités, bruyants, à fleur de peau. J’essaye toujours de placer une bonne séance de sport qui peut les aider à évacuer cette fatigue nerveuse, ce trop-plein d’énergie accentué par une position assise exigée pendant des heures ! Ils apprécient ce moment, preuve en est qu’en cas d’annulation pour cause de mauvais temps, leur déception est immense, ils se traînent, arborent des mines abattues ! C’est là que je sors de mon chapeau une activité très pratique, car ne demandant pas de matériel spécifique ni trop de place (la classe suffit) et qu’ils aiment aussi beaucoup : le yoga. J’ai déjà d’ailleurs quelques adeptes qui ont depuis demandé à leurs parents de pratiquer cette activité sportive à l’extérieur de l’école (YES !). Quand on sait que seulement dix minutes de yoga peuvent augmenter le temps de concentration et d’attention d’un enfant… La journée se termine avec le sentiment du devoir accompli (valable aussi pour les autres jours d’ailleurs !). Rendez-vous avec les parents, corrections, photocopies, rangements de la classe, je retrouve avec joie mon cocon où je m’octroie si possible une soirée « détente ». 

VENDREDI 

Je l’appelle la journée DISCO. Les enfants passent souvent le portail de l’école d’un pas alerte, tout cela dans un fond sonore qui laisse présager d’une journée dynamique ! Ils sont complètement dans le rythme ! Lorsque je leur annonce (comme tous les matins d’ailleurs) la chorégraphie du jour (le programme quoi !), ils sont prêts à l’exécuter à la lettre. Boule à facettes, j’entre en piste et ils m’emboîtent le pas ! Le hic, c’est que passé le repas du midi, cette belle connivence entre nous connaît des couacs : fatigués par une semaine bien remplie, ils perdent un peu le contrôle d’eux, oublient certaines règles de vie élémentaire, s’avachissent, se délitent. C’est le moment de mettre en place des activités un peu moins contraignantes et plus ludiques : l’écoute musicale, le chant, l’art plastique. Ils adorent écouter, admirer, comprendre les œuvres que je leur propose ! Ces séances de découverte ou de création attisent leur curiosité, les questionnent, les font rire. Ils ont envie de s’essayer à différentes techniques, aux matières. Une vraie bande de petits artistes en herbe qui s’y mettent à cœur joie dans un grouillement sonore, mais artistique ! Ce qui est moins drôle c’est quand le pot d’encre noire se retrouve par terre ou qu’on a mis malencontreusement de la peinture dans les cheveux de sa voisine ! 16 h 30, nous nous quittons dans un joyeux brouhaha avec un « Bon week-end ! » ponctué d’un « A lundi ! ». Et oui ! Cette routine écolière se répétera chaque semaine. Parfois, une sortie culturelle ou la venue d’un intervenant extérieur viendront bousculer nos habitudes. Mais la majeure partie du temps se déroulera ainsi, de façon quasi immuable, et ce, dans le but de rassurer les plus fragiles, les plus sensibles, de former un cadre sécurisant. Le défi d’enseigner dans sa forme la plus honorable, c’est-à-dire sans qu’un élève passe entre les mailles du filet, je tente de le faire le mieux possible depuis 25 ans. J’ai eu des hauts et des bas dans ma carrière, des périodes de découragement, de désillusions, de colère aussi envers ma hiérarchie, des moments où je me suis dit : il faut que je change de boulot, que je fasse autre chose, je n’ai plus la foi, le métier a changé, etc., mais il suffit d’une visite d’un ancien élève, d’un témoignage de reconnaissance de parents, d’un petit mot gentil ou d’un dessin laissé sur mon bureau, d’un enfant qui se réveille d’un coup et s’ouvre aux apprentissages alors qu’il était fermé comme une huître depuis la rentrée, d’une confidence parce qu’on vous fait confiance et qu’on sait qu’il n’y aura pas de jugement…… Toutes ces petites choses me rappellent pourquoi j’ai choisi ce métier : pour amener mon troupeau tout en haut de la colline, là où l’herbe est plus verte et nourrissante… Oui oui ! Je suis une bergère dans l’âme !

Commentaires

  1. très intéressant ! tu arrives à comprendre chaque comportement et à trouver les bonnes activités, au bon moment et c'est vraiment remarquable... moi qui voulais faire maîtresse étant plus petite, tu me redonne presque l'envie, mais...les deux petits que je garde pour le moment me font assez de folie comme ça ! j'en veux pas 20 de plus hahahah
    ps : attention, le dernier paragraphe du jeudi, est en doublon ;)

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    1. Merci Célia pour tes remarques et si je peux réveiller des vocations tant mieux! 2 ou 20 petites têtes blondes peu importe : quand on arrive à captiver son auditoire, on a tout gagné! 😉

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