Méfions-nous des apparences ....



Mademoiselle


Deux mois que je n’ai pas bougé de mon coin. Je suis prostrée, là, depuis un temps interminable, si bien que j’imagine une fine pellicule de poussière recouvrir mon corps inerte.
La raison de cette petite mort se résume en un mot : abandon. Celui, qui depuis des années partageait mon quotidien a disparu, comme ça, sans prévenir.
Mais pourquoi n’ai-je rien vu venir ?
N’y a t-il pas eu de signes avant-coureurs  pour m'y préparer? 
Je fouille dans mes souvenirs sans relâche et je ne vois qu'amour, partage, émois et l'immense plaisir d’être un couple harmonieux.
Nous nous sommes rencontrés tous les deux assez tard dans nos vies. Lui passait le plus clair de son temps dans les étoiles en compagnie de voyageurs de l’espace, moi, je pratiquais l’art de faire naître l’amour du rythme et de la musique chez de futurs virtuoses.
Notre rencontre se fit dans une boutique de luthier, rue des Trois Bornes à Paris. Nos regards se sont croisés et se sont plu immédiatement. Passé ce premier contact visuel, comme une évidence, nous nous sommes rapprochés pour ne plus nous quitter.

D’abord timide et maladroit, cet homme patient et déterminé, prit de l’assurance dans notre relation et avec le temps, la sublima. 
Je goûtais chacun de nos moments de communion. 
Ses mains me transcendaient, me magnifiaient. Notre entourage appréciait notre complicité et nous étions, pour cela, souvent solliciter. 
Comment pouvais-je me douter qu’un matin d’hiver, subitement, tout s’arrêterait ?
Soyons sincère,  j’avais bien remarqué, quelques jours après sa disparition, des ombres revêtues de tristesse, rôder autour de moi. J’avais bien senti un épais brouillard, manteau mélancolique, recouvrir peu à peu mon environnement.
Mais je n’ai pas compris vraiment ce que tout cela voulait dire, trop absorbée par mes pensées et mon sentiment de solitude. 
Et puis, je suis née dans une forêt d’épicéas. Je suis plus sensible au langage de la nature qu’à la complexité des rapports humains.

La réponse à ces questions angoissantes, je l’ai eue, il y a à peine quelques minutes.
Ils sont entrés dans l’appartement. 
Ils ont rangé ses affaires dans des cartons. 
Ils ont tout plié, tout emballé jusqu’à ce que plus aucune trace de sa vie ne soit visible ….. Il restait juste moi.
  C'est à ce moment précis, que la raison de son absence se révéla à moi comme une évidence : il n’était plus de ce monde.
Un immense chagrin vint remplir mon corps de bois, faisant vibrer mes cordes de douleur.
Et puis, deux mains inconnues me saisirent avec délicatesse pour me ranger dans mon grand étui de cuir noir.


FIN



Denis et sa contrebasse en concert




Lui et Moi


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