Hiver (4)




Lui


Paul inonda l’infirmière de questions sur la mystérieuse personne qui l’avait accompagnée dans son sommeil. Malheureusement, elle ne lui dit pas grand chose. Elle la décrivit succinctement « Oh, je dirai 30 ans environ, des cheveux mi- longs blonds foncés, les yeux verts je crois, une femme charmante et vraiment aimable, et puis soucieuse de votre état ! » Son nom, elle ne le connaissait pas, elle n’avait pas laissé non plus son numéro de téléphone.
Il avait beau chercher dans ses souvenirs, rien n’y faisait, il ne voyait pas de qui il s’agissait. 
« Elle repassera sûrement. Je dois continuer ma ronde. Appelez-moi si besoin. »
L’infirmière laissa Paul perdu dans ses pensées.

Seul depuis quelques minutes, il se leva et fit quelques pas jusqu’à ses vêtements posés sur un fauteuil. Il n’avait pas envie de rester là. Quelque chose lui disait intérieurement que cette inconnue ne reviendrait pas. Il fallait qu’il sorte ...
C’est alors qu’il remarqua une écharpe pliée sous sa veste.
Il la prit, se demandant ce qu’elle pouvait bien faire là dans ses affaires et l’approcha de son visage. C’est alors qu’il ferma les yeux, basculé, par les effluves qui émanaient de ce bout de laine tricotée, dans le doux souvenir d’un sommeil bienheureux.

Il reconnut une senteur fleurie, mêlée de sels marins, un parfum frais et sensuel comme il n’en n’avait jamais senti auparavant. Une intime douceur salée.
Elle avait dû s’approcher assez près de lui pour que sa mémoire olfactive l’imprime si bien.
Il serra l’étoffe contre lui et retourna s’allonger, emporté par une envie démesurée de fermer les yeux et de se laisser porter par ses pensées. Peut être finira-t-elle par réapparaître...


Elle


C’est seulement enfermée à double tour dans mon deux pièces que je réussis à retrouver une respiration normale et l’ensemble de mon esprit. J’avais  marché rapidement depuis l’hôpital, la tête dans mon col, avec comme idée fixe de rentrer chez moi, là où rien ne m’agresse et où tout est simple.
Effectivement, cela pouvait l’être mais c’était sans compter sur l’étonnante persévérance de mon cerveau !
Certes, je recouvrai mon calme, mes repères, mon espace...mais aussi toutes les questions qui ne tardèrent pas à laisser naître les regrets de mon acte.
Nue, sous une douche brûlante, je pleurai tous mes chagrins, toutes mes peurs, tous mes ratés. Je me lavai momentanément, je le savais, de mes maux, au moins pour quelques heures. Et je dormis, assommée par mes sanglots encore présents dans mon souffle, recroquevillée sur moi même, comme à chaque fois où la vie me torturait.

Ce sommeil libérateur dura deux jours. Je me levai parfois quelques minutes pour des besoins vitaux mais retournai vite m’enfouir sous une épaisse couche de douceur et de chaleur. Je m’arrêtai de vivre pour ne plus souffrir.

Et puis un rayon de soleil qui s’était insidieusement introduit dans mon cocon m’invita à sortir de cette léthargie. Je ne résistai jamais longtemps à l’appel de la nature.
Je m’habillai donc, assez chaudement connaissant maintenant les aléas de l’hiver boulonnais. Je cherchai longtemps mon écharpe, celle tricotée par les mains de ma mère.
Ah ces fameuses mains ! Si actives et productives, si courageuses et résistantes ! Et pourtant celles qui n’avaient pas su me câliner petite, ou juste me caresser la joue, celles qui n’avaient pas su non plus me protéger de mes peurs et de mes doutes. Cette écharpe le faisait maintenant à sa place. C’était la raison pour laquelle j’y étais tant attachée.
Je soulevais mes sacs, mes vêtements, tout l’appartement sans mettre la main dessus. Je m’obligeai à me poser cinq minutes pour me calmer et réfléchir  à ce que j’avais bien pu faire d’elle.
Le choc quand je me remémorai mon geste ! Cette tête sur le trottoir, mon écharpe posée dessous comme un écrin de douceur... Les ambulanciers emportant le tout… Comment avais-je pu la laisser ?
Je ne me sentis pas le courage de retourner à l’hôpital mais je ne pus non plus me résigner à me démettre du dernier cadeau de ma mère.

Je repris le chemin de l’hôpital, d’une allure raisonnable cette fois, occupée à visualiser cette nouvelle rencontre pour me rassurer. Peut-être, n’aurai-je pas besoin de revoir l’homme dans sa chambre, l’infirmière aurait rangé mon cache-nez dans son vestiaire...
Vaines suppositions, avec le peu de chance que j’avais accumulée ces dernières années, il était fort probable pour que je sois confrontée à ce que je redoutais le plus : un homme en toute possession de ses moyens !
Une fois, le couloir retrouvé et l’infirmière avec (une chance, tiens !) j’appris que notre jeune malade était sorti le matin même, qu’il n’avait rien laissé, pas même une écharpe rouge.
Sensible à ma contrariété, elle voulut m’aider. Telle une marieuse en activité, elle fit quelques manipes sur son ordinateur et nota sur un bout de papier l’adresse et le numéro de téléphone d’un certain Paul Gides. J’étais bien avancée ! Je me retrouvai avec les coordonnées d’un homme que je tentai d’éviter mais qui détenait mon bien le plus précieux. Ah la vie et ses difficiles choix ...
Il fallait que je réfléchisse calmement à tout cela. Je me dirigeai donc vers la grande plage, là où j’avais pris l’habitude de me ressourcer et d’apaiser mes angoisses. L’effet fut instantané à la vue de la grande “bleue” et de son voile jaune foncé posé à ses pieds, au bruit des mouettes et du vent sur l’eau, aux senteurs d’iodes et de varechs.

Lui


L’appartement de Paul ressemblait, par ses grands murs blancs et ses grandes baies vitrées, à l’hôpital qu’il venait de quitter. Des cartons traînaient encore parsemés dans le grand salon attendant d’être ouverts. Il n’avait pas encore terminé son installation ni même la décoration. Il se servait du strict minimum pour ne pas avoir à ouvrir les paquets confectionnés pour le déménagement par sa tendre maman. Ouvrir voulait dire déballer, ranger, organiser sa nouvelle vie ici et ça il n’en n’avait pas encore ressenti l’envie. Dès son arrivée, il s’était plongé à corps perdu dans son nouveau travail délaissant sa vie privée et par la même, sa santé. Parfois, il s’autorisait une sortie le samedi soir, au cinéma, mais c’était surtout pour ne pas rester seul un soir de week-end et pour avoir à raconter autre chose que des histoires de boulot à sa mère.
Ce qu’il appréciait dans ce grand bouleversement c’était le point de vue qu’il avait de sa terrasse. L’immeuble bâtit sur une falaise dominait la mer. Il avait une vue imprenable sur le bleu du ciel et de l’océan et avait parfois l’impression de naviguer sur un navire, isolé du reste du monde. 

Deux grands canapés rouges meublaient la vaste pièce qui lui servait de salon. Il s’affala sur l’un et n’en bougea plus pendant un long moment. Il songeait à ce qu’il venait de vivre ces dernières 48 heures. Son corps, tout d’abord, qui tirait la sonnette d’alarme en le faisant basculer dans un profond sommeil... de réflexion ?
Puis cette femme qui, pendant qu’il était inconscient, s’était occupée de lui. Serait-ce le signe qu’il y a des êtres d’empathie et de bienveillance autres que sa mère ? Et ce doux parfum qui a éveillé en lui des sensations si intenses et si étrangères à lui, comment le retrouver ?
Il téléphona à son bureau pour s’excuser de son absence et annoncer son arrêt pendant quelques jours, imposé par le médecin.
Puis, il enroula l’écharpe rouge autour de son cou et s’installa sur la terrasse. Il aimait se sentir proche de la nature, profiter de sa force pour se ressourcer.
Même le froid n’arriva pas à lui faire quitter son transat. Blottit dans un plaid, le visage fiché dans le cache-col, il se laissait bercer par son effluve. Des images défilèrent dans sa tête sans qu’il en comprenne vraiment leur origine : des enfants jouant dans une cour de récréation, des forêts d’hêtres et de peupliers, des quais des bords de Seine remplis de bouquinistes et d’apprentis peintres...
Il n’entendait rien à tout cela et il se demanda pourquoi diantre il pensait à tout cela ! Il finit par s’endormir ainsi, lové dans lui-même et dans ses rêves.





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