Hiver (5)


Elle


L’humidité froide du soir me fit sortir de mes songeries. Je n’avais toujours pas élaboré de plan qui me convienne pour récupérer mon bien mais lasse de marcher et de grelotter, j’avais pris le chemin du retour.
Arrivée au coin de ma rue, j’aperçus une cabine téléphonique éclairée. Je ne vis qu’elle. Mes yeux ne pouvaient se détacher de ce squelette de ferraille lumineux. J’entendis dans ma tête une voix me dire : “ Appelle-le ! Appelle-le !”
Il ne me coûta rien d’entrer à l’intérieur, ni de prendre le combiné, ni d’attraper au fond de ma poche le bout de papier sur lequel son numéro était noté. Je glissai quelques pièces et entendit la tonalité. Pourtant, mon doigt resta en suspend au huitième chiffre annonçant la connexion proche. La peur était apparue avec ses palpitations accélérées et douloureuses dans la poitrine, ses torsions des viscères et ses tremblements incontrôlables.
Le froid devenu glacial combiné à un dernier sursaut de courage m’aida à taper les deux derniers chiffres et à attendre qu’on veuille bien décrocher. Arriverai-je au moins à prononcer un mot ? Il m’était déjà arrivé de téléphoner à mon ex petit ami juste après qu’il m’ait quittée, pour être incapable d’ouvrir la bouche quand sa voix pénétrait mes oreilles tant la peur et l’angoisse me paralysaient.
Trois sonneries puis quatre, dix...je me résolus à poser le combiné à la vingt-cinquième. Ma peur fut rapidement remplacée par une colère noire.
Où pouvait-il bien être avec mon écharpe ? L’avait-il au moins ? Ou serait-elle déjà oubliée dans un taxi ou dans un café ? Je continuai mon chemin en fulminant contre lui, en imaginant toutes les catastrophes possibles qui m’éloigneraient définitivement de mon carré de laine.
Une fois rentrée, même une soupe chaude et un bon livre ne réussirent pas à me calmer tout à fait. J’attendis le sommeil longtemps. Il ne vint à ma rencontre que très tôt le matin.

Lui


C’est un cri de mouette en plein vol qui réveilla Paul en sursaut. L’aube naissante baignait le paysage de tons safranés. Le ciel rosi rejoignait une mer huileuse et pareillement colorée. Un si beau spectacle transposa de joie ce spectateur avertit qui se frotta les yeux plusieurs fois pour mieux apprécier les nuances du tableau posé devant lui.
Il finit par rentrer au chaud, après une nuit passée au frais. Il se prépara un thé, quelques biscottes et s’installa au bar de sa cuisine pour lire les nouvelles du jour que le concierge lui déposait tous les jours sur son paillasson, grand privilège des immeubles de haut standing.  En feuilletant la presse du coin, il pensa soudain à sa mère qu’il n’avait pas appelée depuis son incident au cinéma. Elle devait s’inquiéter, comme à son habitude. Mais peut-être avait-elle essayé de le joindre hier soir. Pour en être sûr, il prit son téléphone et composa un numéro l’informant des appels des deux derniers jours. Comme il le pensait, il entendit le numéro de sa mère puis un autre, à sa grande surprise, inconnu. Il le nota dans un coin du journal, puis appela sa mère pour lui raconter sa mésaventure.
La discussion ne dura pas moins d’une heure, Paul parlant peu, faute de mieux, sa mère monopolisant la parole comme toujours. Il sortait de ces échanges verbaux épuisés, comme quelqu’un qui avait du se battre de toutes ses forces pour respirer.
Paul aimait sa mère. Il savait qu’à travers cette averse de mots, elle cachait une solitude pesante depuis qu’il était parti. Femme très active et ouverte quand il était enfant, elle redoubla d’activités lorsque son mari mourût subitement d’une crise cardiaque. Paul n’avait alors que huit ans. Elle s’occupa de lui et des affaires de son défunt mari de la même façon : en parlant beaucoup, sans cesse avec une énergie inépuisable. Aujourd’hui, elle n’avait plus autant de raisons de se battre sauf pour sa vie à elle, et cela la rendait moins dynamique. Aussi, pour Paul, partir avait été une décision difficile à prendre. Son instinct lui intima pourtant de le faire. Il était temps de voler de ses propres ailes, de construire à son tour sa propre vie. Heureusement, il sentait au téléphone la flamme d’un éternel optimisme qu’il le rassurait à chaque fois, lui ôtant la culpabilité de l’avoir laissée seule, loin de lui.
Ce premier coup de fil passé, il composa le second numéro. Personne ne décrocha. Il essaya une seconde fois, en vain. Il aurait pu jeter ce papier et l’oublier mais sans vraiment comprendre pourquoi il se refusa de le faire. Ce numéro était entouré de mystère... Il tenta donc son appel une dernière fois. C’est à la vingtième sonnerie (il les compta) que l’on décrocha. Une voix de femme se fit entendre.

- Allo !
- Bonjour. Il semble que vous ayez essayé de me joindre hier soir.
- Euh non. Vous appelez dans une cabine téléphonique là. J’ai décroché parce que ça n’arrêtait pas de sonner.
- Qu’est-ce que vous dites ?
- Je dis que je suis dans une cabine et que j’ai décroché parce que je passais par là.
- Ah je comprends, dit-il déçu. Veuillez m’excuser.
Il réfléchit.
- Vous pouvez me dire où se situe cette cabine.
- Euh, attendez....Avenue de la Libération à Boulogne sur Mer.
- Ah bon ? Merci beaucoup, au revoir.
Son coeur battait la chamade. Quelqu’un de Boulogne avait essayé de l’appeler d’une cabine. Or il ne connaissait pas grand monde dans cette ville,  hormis un ou deux collègues de travail et l’infirmière qui l’avait soigné. Tous possédaient son numéro de portable. Ils auraient donc essayé de le joindre dessus.
C’est alors qu’il pensa à elle, cette femme qui l’avait veillé pendant son sommeil et qui lui avait, par la même occasion, tatoué la mémoire de ses effluves mystérieuses.
Aurait-elle tenté de le joindre, pour prendre de ses nouvelles ? Ou mieux, tombée sous son charme ravageur, elle voulait le revoir ? Ce n’est tout de même pas son écharpe qu’elle cherchait à récupérer ? Il sourit intérieurement à cette pensée.
Il était maintenant grisé par la perspective de la voir. Une chance de pouvoir mettre un visage sur ce parfum lui paraissait tout à coup possible.

  

 Elle


“Ridicule cette colère” pensai-je au réveil. Toute cette agitation pour un bout de laine. C’était bien moi ça ! M’attacher à n’importe quoi, le rendre indispensable, voir vital, et me sentir abandonnée, la chose disparue ! Etrangement, cela faisait écho à des souffrances déjà vécues, ce qui pouvait expliquer mon désarroi et ma colère.
Je décidai donc d’oublier cet incident et de me remettre à mon programme « bien-être » commencée depuis mon arrivée ici. J’organisais donc les quelques heures qui me restaient : j’avais envie de shopping et d’une visite de la vieille ville située sur les hauteurs de Boulogne.
Faire les magasins était, il y a quelques années, une activité que je pratiquais pendant les périodes de grand cafard. Voir des formes et des couleurs, toucher, essayer des vêtements me ramenaient à la vie. Je n’achetais pas forcément, voir mon image différente dans ces grands miroirs me suffisant bien souvent.
Après ma rupture, plus de centres commerciaux, de grands magasins, plus de cabines d’essayage. Je ne voulais voir le reflet de celle qui n’avait pas su garder celui qu’elle aimait.
Bizarrement, aujourd’hui, cela ne me gênait plus. J’avais très envie de m’offrir de jolies choses et de les admirer sur moi. Je n’attendis pas de voir disparaître cette soudaine appétence et je sortis. Au vue des vitrines qui regorgeaient déjà des couleurs du printemps,  je continuai de nourrir ma gourmandise de réjouissances. Les camaïeux de jaune, de vert, de rose m’inondaient de joie, de chaleur, de bonheur de vivre, de souvenirs bienheureux, comme ces images d’enfance à la campagne au temps où mes parents s’aimaient encore. J’achetai non pas ce qui me mettait le plus en valeur mais ce qui me procurait le plus de plaisir à regarder.
Une fois assouvie, j’engageai le pas vers ma seconde destination, la cité. Je me sentais bien, gorgée de satisfactions que certains trouveront bassement matérielles, et qui pourtant me redonnaient des couleurs de vie.

Je m’engageai par la suite,  dans une rue montante, menant à la vieille ville fortifiée.
Quel autre plaisir je m’offris là : les grandes bâtisses, les imposantes murailles et des églises massives se succédèrent, leur force à traverser les siècles sans fléchir et leur prestance malgré leur grand âge me rassurant tour à tour. J’ajoutais aux images colorées de mon esprit, ces formes protectrices.
Je quittais ces lieux réjouie. Un sourire posé discrètement pour ne pas trop attiré les regards, je marchais le pas léger, entraîné par mon sentiment de plénitude.
A l’horizon, je vis l’union des bleus de l’eau et du ciel. Une communion paisible, sans heurt, sans bruit, en toute impunité puisque sous le regard de tous. Un mariage de respect, chacun gardant la place et le rôle qu’il a, sans tromperie ni infidélité.  J’enviai ce concert mené sans fausses notes, cette union sans trahison.
Je m’installai sur un banc situé en bord de plage et ne quittai plus des yeux l’azur océanique (ou l’océan azuré). Vivrai-je un jour cette même entente ?
  

Lui


Cela faisait plusieurs heures qu’il tournait dans son appartement, attendant, sans vouloir se l’avouer, que son téléphone veuille bien sonner. Pour s’occuper, il avait ouvert quelques cartons afin de les vider. Mais même cette activité n’arrivait pas à atténuer cette impatience. Car il n’avait de cesse de penser à ce mystérieux coup de fil et plus précisément, soyons clair, à cette femme. Il tenta même de l’imaginer physiquement.
Il n’avait pas de goûts particuliers dans ce domaine. Jusqu’ici, pour lui plaire, une fille n’avait pas besoin de grand chose : du charme, de la gentillesse et ce “petit truc” qui  la différenciait des autres. Des liaisons, il en avait eu plusieurs, il ne manquait pas de succès. Du lycée à aujourd’hui, il avait vu défiler des dizaines de femmes sans pour autant tomber follement amoureux, comme il l’espérait à chaque fois. Il avait peu d’effort à fournir, elles venaient à lui séduites par son charme naturel, son charisme rassurant et son sourire enthousiaste. Elles s’accrochaient à cet homme captivant et s’offraient entières pour mieux le posséder. Lui se laissait faire, espérant toujours que l’une d’elles le surprennent, attendant l'accord parfait s'installer entre eux, patiemment, ce qui n'arriva jamais.
Ses histoires se terminaient toujours de la même façon : il attendait quelques temps avant de rompre, puis il invitait sa compagne à un dîner aux chandelles au cours duquel il s’excusait, avec une douceur bienveillante, de ne pouvoir continuer une relation qui ne l’épanouissait pas. Ses prétendantes se laissaient quitter sans trop de larmes, ni cris, amadouées par sa bienveillance et tant de prévenance à leur égard.
Cette fois-ci, la femme qui occupait son esprit n’avait ni visage, ni corps, ni voix, juste un parfum. Et l’image qu’il s’en fit s’en inspira. Il la voyait fine, les cheveux longs, les yeux clairs (détail qu’avait précisé l’infirmière), une bouche souriante, tout cela baigné par des senteurs de fleurs sauvages et de grands espaces.
Il rêva d’elle, allongé sur son sofa, la tête en arrière, le regard vers la baie vitrée, les yeux plongés dans le bleu du ciel....



Commentaires

  1. mais pourquoi il ne va pas en ville, pour la chercher????hahahaha

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