Elle
Assise
dans la salle surchauffée d’une brasserie, j’approchai de mes lèvres gercées une
tasse de chocolat brûlant. Le spectacle de la nature m’avait exaltée mais aussi
transi de froid des pieds à la tête.
Quelques
clients étaient là. J’attrapai des morceaux de conversation au vol et les
assemblai pour mieux comprendre leur vie, leurs soucis, les relations entre
chacun, les raisons de leur présence ici. Mon attention errait ainsi, de tables
en tables, avec l’espoir malicieux de récolter quelques informations
croustillantes. Ce sont les couples qui m’intéressèrent le plus. Je m’appliquai
à découvrir l’ampleur et l’intensité de leurs liens, si ces deux coeurs
battaient ensemble ou si, au contraire, la rupture planait au-dessus de leur
tête. Il me semblait avoir une certaine lucidité sur les rapports humains en
général, et en particulier, ceux concernant les rapports amoureux. Les gestes,
les regards échangés, la façon de se tenir, de bouger, de parler, tout
m’apportait matière à mieux interpréter le stade de leur liaison.
Mon
attention s’arrêta un long moment sur un couple que je n’avais pas remarqué
tout de suite. Très discrètement, je les observai. Ils se tenaient les mains
sur la table qui les séparait et ils ne cessaient de se regarder dans les yeux.
Parfois, l’un des deux prononçait avec douceur quelques mots inaudibles à mes
oreilles, sans quitter le regard de l’autre.
Sur
leur visage, transparaissait une paix rayonnante. Il y avait une déferlante
d’amour dans ces échanges quasi silencieux. Je les enviai. Il m’avait toujours
semblé que les sentiments qui vous transcendent ne pouvaient se communiquer
autrement que par le corps. Chaque fois, dans ma vie amoureuse, les mots
avaient eu un effet réducteur. Je manquais de termes pour décrire mes
ressentis. Par contre, je pensais pouvoir en témoigner avec toute la palette
d’expressions que m’offrait chaque partie de mon enveloppe charnelle. Mais encore
fallait-il avoir en face un homme qui veuille bien interpréter ces codes. Ce ne
fut pas le cas pour moi. L’étendue de mes sentiments se cogna à un mur
d’indifférence. Celui que j’aimais follement, n’avait que faire de mon amour...
Dans
un élan de tendresse, la jeune femme caressa la joue de son amant. Cette image
me ramena quelques jours en arrière, sur le trottoir du cinéma. Je caressai moi
aussi la joue d’un homme. J’avais ce même élan de tendresse et ce visage me le
rendait bien. Je fermai les yeux pour mieux me remémorer la scène. Je me
surpris à souhaiter revivre un pareil moment avec lui.
Le
cinéma n’était pas très loin de l’endroit où j’étais. Une fois dans la rue, je
pris sa direction.
Elle et Lui
Ne
dit-on pas qu’il faut laisser agir le hasard ?
Ne
dit-on pas aussi que le destin fait bien les choses ? Que ce n’est peut-être
pas encore le moment et que notre tour viendra un jour ? Qu’il faut savoir
attendre etc....
Balivernes
! La vie appartient à celui qui choisit. Attendre ou se soumettre à la fatalité
c’est refuser de vivre et d’assumer ses choix.
C’est
ce que pensèrent Paul et Lili ce soir-là, à quelques pâtés de maisons l’un de
l’autre, lui dans son sofa, elle dans la rue.
Parfois,
une situation, un moment de votre vie vous impulse le désir d’être le seul
maître à bord.
De ne
plus subir le cours de sa vie passivement comme une pauvre victime.
Prendre
les rênes de son existence et la contrer si nécessaire.
Leur
instinct indiquait l’arrivée proche de sentiments bien meilleurs...
Ils
eurent alors, la même idée ce soir-là : aller rencontrer l’autre, là où la vie
les avait réuni une première fois.
Lui
Douché,
rasé et coiffé, Paul se dirigea dans sa chambre. Il chercha de quoi se vêtir.
Il était nerveux et ce n’était pas chose commune chez cet homme, quand il s’agissait d’aller à la rencontre
d’une femme. Homme souvent convoité, il avait une grande pratique des
rendez-vous galants. Ce soir, les choses étaient tout de même différentes.
Jusqu’ici, il n’en avait vraiment jamais désiré aucune. Aujourd’hui, si. Il
finit par prendre au hasard un pull et
un pantalon, fatigué de tant d’hésitations. Il n’omit pas d’enrouler l’écharpe
autour de son cou en sortant de son appartement, seul lien qu’il avait avec son
inconnue...
A
l’heure de la projection du soir, il se retrouva dans la rue et marcha d’un pas
décidé en direction du cinéma. Il n’avait pas oublié son injection du soir.
Pourtant, tout en marchant, il guettait
les signes d’alerte que pouvait lui envoyer son corps en cas
d’hypoglycémie car il ne voulait pas avoir un second malaise.
Très
vite, il aperçut l’enseigne lumineuse annonçant la programmation des salles et
son coeur battit la chamade. A l’affiche était le film qu’il devait voir le
soir de sa chute. Des gens faisaient déjà la queue devant les portes encore
closes. Il s’approcha et se mit sur le côté pour avoir le meilleur panorama sur
la foule en attente. Et il laissa glisser son regard sur chacun des visages
laissant faire son instinct. La maigre description de l’infirmière l’aida à
éliminer une grande majorité de personnes. Seulement trois pouvaient
correspondre à l’image qu’il s’en faisait.
Il
hésita longuement, réfléchissant à la meilleure façon d’aborder ces femmes.
Puis, comme un vaillant chevalier, il prit son courage à deux mains et
s’approcha de l’une d’elle. A la question “Serait-ce votre écharpe ?”, il eut
une réponse négative, suivie d’une autre quelques secondes plus tard. Il
réalisa alors la difficulté et l’utopie de sa quête. Il se posta très près de
la dernière personne qu’il voulait interroger. Elle ne le voyait pas, plongée
dans la lecture d’un magazine. Elle exhalait un parfum capiteux et poivré, à
l’opposé de ce qu’il cherchait ... il ne prit même pas la peine d’engager la
conversation.
Elle
n’était pas là, il l’aurait sentie. Son identité olfactive étant inscrite dans
la mémoire de cet homme, il la reconnaîtrait les yeux fermés. Ce parfum était
le fil qui le reliait à cette femme. Il devait se fier à lui.
Déçu,
il s’éloigna de son infortune et marcha …
Elle
Je
marchai hâtivement, comme pour être sûre d’être à l’heure à mon rendez-vous ...
que je n’avais pas ! Ou alors si, avec mes fantasmes ! ... car qui oserait
espérer pouvoir revoir un jour un homme au même endroit, à la même heure à
trois jours d’intervalles ? Personne sauf moi! Ca a tout du prince charmant
sorti d’un conte merveilleux où tout finit bien “ et ils s’aimèrent et eurent
beaucoup d’enfants etc...”, j’avoue et j’assume. Mes déboires amoureux auraient
pu définitivement me guérir de cette magie romanesque irréelle : Non, les princes ne sont jamais là
où on les attend. Non, les princes ne tombent pas fous amoureux de vous dès
qu’ils vous voient. Non les princes ne sont ni jeunes, ni beaux ni riches ni
romantiques !
C’est
vrai ! Mais n’est-ce pas le propre de la femme ? Courir après des
chimères ? Même si mon chevalier
n’est pas conforme à tous ces stéréotypes, mes yeux le verront ainsi, car ce
sera le regard de l’amour....
Je
l’ai regardé sur ce trottoir, puis sur ce lit d’hôpital. Tout ce que j’ai pu
voir de cet homme était beau et me ravit encore. Je me rendis compte que ces
dernières trente-six heures, je n’avais fait que chercher son visage dans la
foule.
Et
foule il y avait sur le trottoir longeant le cinéma. Une quarantaine de
personnes rangées attendant sagement leur passage à la caisse.
Tout
en m’approchant, mes yeux cherchèrent sans relâche le visage tant espéré. En
vain, ces figures inconnues, insensibles à ma quête, me renvoyaient à ma
solitude sur ce trottoir. Il n’était pas là.
Accablée,
je restais immobile sans pouvoir réfléchir. La volonté inconsciente qui m’avait
menée jusqu’ici m’avait quittée pour de bon. Le vide, l’incertitude l’avaient
remplacée. J’étais sourde, muette et aveugle. Plus rien n’existait si ce n’est
le néant autour de moi. Et puis ma petite conscience me secoua. Je devais
réagir. Cette situation faisait écho à d’anciennes douleurs, mais je sentis
qu’elle ne devait en aucun cas guider mes émotions et mes actes.
Avec
le reste de courage qui me restait, je me glissai donc dans la file d’attente.
J’avais souhaité voir ce film, il y a quelques jours, je pouvais dorénavant le
faire puisque rien n’allait apparemment déjouer mes projets.
Une
fois assise dans la salle à demi-obscure, je me laissai porter par les murmures
des uns et les rires des autres. Le film fit le reste.
Quand
le mot “FIN” apparut sur l’écran, un large sourire s’ouvrit sur mon visage.
Tant de poésie et d’amour m’avaient enveloppée pour déposer sur mes plaies
douloureuses un onguent miraculeux. Tout mon être répondait à cette guérison et
je me sentis détendue et déchargée de tout.
De retour,
dans la rue, je marchai droit devant moi, encore sensible aux images et aux
mélodies auxquelles je venais d’assister. Je me sentais délivrée et j’avais
soif de ciel...de mer...d’espace.
mon épisode préféré pour le moment ! tellement de descriptions de sentiments, de petits détails...j'adore ♥♥ (Célia)
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