Quelques minutes ...


Une minute de folie



Ce matin, j'éteins mon réveil et me lève du bon pied. J’écoute le chant joyeux des oiseaux et je m’éblouis de cette belle lumière aveuglante. J’entends l’agréable musique du café qui coule et ne peux m’empêcher de saliver en humant l’odeur du pain grillé. Je me pare de tissus légers aux couleurs printanières, je laisse mes cheveux en liberté et m’enveloppe de parfum de rose de damas. Je quitte mon havre de paix d’un pas léger et souris aux passants que je croise. Je dis bonjour aux enfants que l’on traîne par la main et aux mamies qui vont faire leur marché. J’embrasse le cafetier qui m’offre un thé et laisse un pourboire au fleuriste pour ses pivoines somptueuses. Je fais les gros yeux au chien du libraire qui aboie pour lui coller ensuite un baiser sur le museau. Je pose mon front sur la vitrine d'un glacier et choisis trois parfums à marier. Je traverse en regardant plusieurs fois de chaque côté et applaudit les voitures qui m’autorisent à traverser. Je prends le plus long chemin qui me mènera sur mon lieu de travail, compte les pigeons stationnant sur les fils électriques, puis marche les yeux fermés à travers le parc publique, en écoutant le clapotis de mes pieds dans les flaques d’eau. Gaiement, je siffle n’importe quoi en sautillant sur le boulevard. Je finis par retirer mes chaussures pour sentir la chaleur du macadam. J’hume les effluves de cuisine, des senteurs d'épices, des gaz d’échappement. Je retire ma veste et sens l’air sur mes bras pâles. J’aide un militaire à traverser la rue en lui disant « Y a pas de raison ! » et continue ma route en effectuant par-ci par-là des pirouettes. Je donne mes pivoines à l’agent de sécurité qui affiche quotidiennement un sourire enjôleur. Je monte quatre à quatre les escaliers sans m’arrêter pour crier « Victoire ! » en arrivant au quatrième étage. Je souffle sur mes mèches rebelles en dandinant d’un pas léger.

Un groupe de personnes en costards–cravates m’attend  cérémonieusement dans une salle de réunion. 
Je les rejoins d’un pas bien rythmé, renfile mes talons et déclare sur un ton enjoué:
« Messieurs, ma minute de folie étant terminée, je suis toute à vous ! »

Grand bien me fasse….


Chantal Galiana



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Une minute de poésie


Une vieille femme assise devant sa fenêtre s’enquiert du réveil timide du printemps. En face, à quelques mètres de là, un chat gris s’installe en haut d’un muret avec l'intention d'observer le mouvement de la rue. Leurs regards se croisent. 
Elle le trouve beau, d’une démarche élégante. 
Il est happé par le bleu de ses yeux et la bienveillance qui s'en dégage. 
Elle devine sa malice et son audace. 
Il perçoit sa solitude et sa mélancolie. 
Elle tend le bras pour lui ouvrir la fenêtre. 
Il se redresse et s’étire. 
Les rayons du soleil scintillent sur son poil soyeux. 
La brise légère agite les quelques mèches échappées de son chignon. 
Elle s’approche le plus qu’elle peut du bord pour l’appeler du regard. 
Il s’avance d’un pas assuré vers ces yeux démesurément souriants. 
Elle devine son doux ronronnement, il imagine ses mains caressantes.
La lumière de cette belle journée les illumine à l’unisson. Quelques mètres les séparent encore et pourtant ils s’aiment  déjà sans concession.

L’amour ne connait ni la frontière de l’âge, ni l’origine de l’être aimé.



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Une minute d’humour



Séance de grammaire, les ardoises sont sorties. 
La maîtresse annonce la consigne : « Je vais écrire une phrase au tableau. Sur votre ardoise, vous préciserez si elle est au « présent », au « passé » ou au « futur ».
Le défilé des phrases commencent. Au bout de quelques minutes, les exemples viennent à manquer à l’enseignante. Aussi elle écrit dans la hâte : 
« La maîtresse chante très bien. »
Elle laisse s’écouler quelques minutes puis donne le signal indiquant qu’il est temps de montrer le résultat de sa réflexion.
Vingt-deux ardoises s’élèvent avec la réponse que chacun croit être la bonne. Mais c’est une ardoise en particulier qui attire l’attention de la maîtresse, celle d’Ibrahima. Il semble y être écrit une phrase assez conséquente. Elle plisse les yeux pour mieux voir tout en s’approchant de la dite ardoise. Elle remarque au passage un petit sourire déposé sur les lèvres de son auteur, soutenu par un regard malicieux. Une fois à bonne distance, elle peut déchiffrer ceci :

« Présent.      Mais tu te la pètes pas un peu là ? »

Quand l’humour a toute sa place dans une classe au même titre que le respect, l’écoute et l’entraide, alors sont possibles ces petits moments inoubliables d’hilarité commune… 






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Une minute de mystère



Une tâche d’encre bleue sous le pied droit…
Sacha ne comprend pas très bien comment ce cercle ovale d’environ un centimètre de diamètre a pu arriver là, juste sous son troisième orteil, et qui, de surcroît, la regarde d’un œil plutôt autoritaire.  
Elle ne sait vraiment pas. Alors, elle cherche dans sa mémoire en retraçant sa journée depuis son réveil.  Des choses tout à fait banales, le quotidien, le nécessaire à une vie bien rodée. Rien d’anormal, d’extraordinaire, de magique, de vibrant, si ce n’est cette tâche, ce soir sous son pied. Par réflexe, elle tente de l’enlever en la frottant avec de l’eau et du savon. Mais rien à faire. Elle essaye ensuite avec du dissolvant, en vain. 
Alors elle s’assoit, dubitative, réfléchit longuement et finit par se dire qu'il s'agit peut-être d'un signe et qu'elle doit, par tous les moyens, trouver un sens à cet événement. Elle prend son ordinateur et tape les mots suivants sur son moteur de recherche : « symbolique du pied droit ».
La première réponse lui apprend que le pied droit est représentatif de la mère biologique. Ok mais encore…Cela ne la satisfait pas, elle continue de chercher. Elle tombe ensuite sur un article présentant le travail d’un certain Michel Charuyer « écoutant et accompagnant du pied » qui exerce à Annecy. 
Si elle a bien compris, le pied se rapporte aux possibilités de progression, au mouvement de la vie. Il symbolise notre attitude, nos positions d’action ou d’inaction ainsi que la liberté puisqu’il  permet le mouvement donc le choix.
Ses mots, soudain, résonnent en elle. Oui, c’est bien le problème, elle devrait faire des choix mais elle repousse toujours le moment de trancher tant elle est incertaine de faire le bon.
On peut dire que sa vie est réglée comme du papier à musique, qu’elle se laisse porter maintenant par cette partition longue et difficile à construire et que tout devoir recommencer l'effraie.  

Pourtant Sacha a une ambition, un désir profond depuis toute petite, qu’elle n’osait vraiment s’avouer jusqu’à l’hiver dernier quand son père a subitement disparu . Celui qui l’avait quittée sans préavis, avait vécu ses rêves jusqu’au bout. Il avait embelli sa vie en s'autorisant la réalisation de ses passions, quelles qu'elles soient, effaçant la barrière de l'âge et partageant son enthousiasme avec son entourage qui en gardait une trace indélébile.  
Elle s’était dite alors qu’il était beau et merveilleux de laisser quelque chose de soi sur cette Terre. Petit à petit son rêve avait refait surface et l’avait empêchée de dormir, de rêver, de pleurer.
Quel est donc ce pêcher inavoué 
Tout simplement écrire.
Voilà ce qui la remplit de bonheur. Noircir des pages et des pages, coucher sur le papier ses idées qui la travaillent, nourrir de mots et de jolies phrases ses carnets qui l'accompagnent partout.
Elle aimerait consacrer toutes ses journées à cela, travailler l’art de créer des histoires, faire naître le plaisir chez le lecteur et attiser son désir d'en lire plus encore.
Cette tâche sur son pied droit, cet œil bleu qui la regarde intensément, voir sévèrement, lui dit : « Qu’est-ce que tu attends ?  Pourquoi  restes-tu bloquée sur ta position ? Avance et oublie tes peurs 
Avec un certain soulagement,  elle se rend compte que sa décision est prise : demain, elle enverra  sa lettre de démission, elle se déchargera de tout ce qui l’encombre et elle se glissera avec une ferveur impatiente dans sa nouvelle activité : écrivaine.

Elle n’oubliera, pas non plus, avant de s’endormir, de remercier le cosmos, l’expéditeur de ce signe doit bien s'y trouver…




26/04/2018

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