Etre créatif, c'est être capable de générer du hasard ... A. Tricot






Jean-François Millet, "The knitting lesson"1869

"Le tricot permet à une femme de penser à autre chose pendant que son mari parle."    Sacha Guitry


De fil en aiguille …

J’ai toujours vu ma mère tricoter. Le soir, après le repas, devant la télé, elle faisait danser les aiguilles dans un rythme effréné, jusqu’à ce qu’apparaisse de cette chorégraphie endiablée une manche, un dos, une écharpe. Ce pouvoir de créer de ses mains, des pièces destinées à nous tenir à l’abri du froid, du vent d’autan et, par extension, à nous protéger de tout comme une carapace, me subjuguait chaque fois.    

Un après-midi, je devais avoir une dizaine d’années, elle me proposa de m’apprendre à tricoter. Gonflée d’impatience et de fierté, j’acceptai sans hésiter. Je voulais tenter cette aventure, qui, de mes yeux d’enfant, semblait réservée aux adultes. Et le fait que ma mère me la propose suggérait que j’en avais sûrement les capacités ! Je me suis donc assise sagement et j’ai écouté mon professeur avec beaucoup d’intérêt. J’ai savouré ces moments de complicité avec ma mère. Elle prenait beaucoup de temps à m’expliquer la technique, m’encourageait, me soutenait dans mes efforts, récupérait mes erreurs (des mailles oubliées, des points ratés…) en me disant chaque fois « C’est bien ! Continue ! »

Cette nouvelle activité allait complètement à l’encontre de ma nature. J’étais plutôt une enfant très active, passant mon temps à courir dans la campagne environnante, à monter aux arbres de notre jardin, à escalader tout obstacle sur mon chemin, à organiser des parcours d’aventures avec mes amis coopératifs, à suivre les troupeaux de moutons jusqu’à leurs pâturages. Ainsi, chaque minute d’une journée était utilisée énergiquement, sans laisser de place au calme. J’arrivai tout juste à dompter ma frénésie le temps des repas. Autant dire que le tricot semblait impensable !

Pourtant, au moment où ma mère a placé les aiguilles dans mes mains, toute agitation a disparu ! Mon corps et mon esprit se sont mis d’accord pour s’apaiser. Concentrée sur ces deux tiges de fer, je les ai lentement entrecroisées tout en maîtrisant le fil de laine, en essayant coûte que coûte d’éviter nœud et trou. Au bout d’une heure, les bras et les doigts douloureux, j’avais réussi à tricoter un rectangle au point mousse. Je me souviens avoir ressenti une grande réjouissance : je pouvais moi aussi créer quelque chose avec mes petites mains. Ma fierté égalait mon désir d’en faire plus encore. C’était le début d’une vie de tricoteuse !

Le point mousse maîtrisé, ma mère m’apprit le point de jersey, le point de riz puis, lorsque j’étais adolescente, les points fantaisies, les torsades…

À quinze ans, plus aucun projet de tricot ne me faisait peur. J’étais capable de réaliser n’importe quel modèle pioché dans un magazine. Quand une difficulté me désarmait, je faisais appel à ma bouée de secours, ma maman, toujours présente pour m’expliquer les manches raglan ou le point bambou, les diminutions ou les augmentations, le montage des pièces. Je me rends compte d’ailleurs que je n’ai jamais réussi à la coller. Ma mère est un maître en tricot. Aujourd’hui, l’arthrose l’empêche de pratiquer cette activité, sinon au prix de pénibles douleurs articulaires. Alors j’ai pris la relève, j’exécute des pièces pour ma famille, mes amis et moi-même avec toujours autant de plaisir et d’audace, car « le tricot » reste pour moi une activité où je me lance perpétuellement des défis !

Je n’ai plus ma maman sous la main en cas de pépins, mais j’ai gardé en mémoire ses conseils, ses gestes et l’image de son sourire quand, le travail terminé, elle montre son œuvre au futur destinataire qui n’en croit pas ses yeux !


un "Nurmilintu" en cours...

Le modèle "Baby Doll" version été 2018



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