Yesterday...

"Tu n'es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis." Victor Hugo




Vais-je enfin sortir de cet épais brouillard ? Et si cela arrive que trouverai-je derrière ? J’ignore j’hésite, j’évite, je recule …mais peut-être devrai-je m’autoriser un retour en arrière, me raconter mon passé et mieux avancer après, une bonne fois pour toute.


J’ai six ans. C’est l’hiver et il neige sur les Varennes. C’est là que nous sommes installés depuis l’été, mes parents, ma sœur, mon frère et moi. Nous avons posé nos valises dans une vieille masure, autrefois la demeure d’un meunier, son moulin encore debout mais démuni de ses voilures, nous toisant de l’autre côté de la route. L’achat de cette maison est le résultat d’un coup de cœur et d’une contrainte non des moindres, le prix relativement bas, proportionnel à l’éloignement de la ville principale, Toulouse.
La première fois que j’y suis entrée, j’ai été saisie par la forte odeur d’humidité et de moisissure présente dans toutes les pièces. L’obscurité ambiante ne me donnait guère l’envie d’avancer, ni les innombrables toiles d’araignée géantes tissées un peu partout. Lorsqu’enfin fût ouvert un volet, la lumière plongea dans ce lieu plutôt hostile pour une petite fille de la ville et le réchauffa dans l'instant. Mon regard fût aussitôt attiré par le jardin et me fit immédiatement oublier tout ce qui me répugnait les minutes précédentes. J’avais devant moi un merveilleux éden : un jardin sauvage démesuré où foisonnaient une flore anarchique et une faune abondante. Il sera le terrain de jeux, de recherches, d’observations, de repos, de cachettes, de découvertes, de rires et de pleurs pendant de longues années. Oubliés les pièces immenses de la maison, les recoins sombres que je fuyais, les craquements du toit, le silence de la campagne, l’isolement…Et puis mon protecteur était là, mon papa.
L’été passé à jouer et à découvrir la nature de près, vint le mois de septembre avec la rentrée scolaire, en CP pour ma part. Ma mère devait m’y conduire à vélo, puis, par la suite en mobylette, n’ayant pas encore son permis de conduire. Nous faisions ce trajet, moi avec la peur de nous faire percuter par les engins qui roulaient avec nous (et il y en a pas mal sur une départementale) et ma mère avec l’inquiétude permanente de laisser seule ma sœur de quatre ans et mon petit frère tout juste âgé d’un an. Une course contre la montre s’engageait quatre fois par jour, quatre jours par semaine. L’une d’elle se termina d’ailleurs dans un fossé (la faute aux graviers !) qui valut à ma mère un poignet cassé, et pour moi un genou amoché et des cajoleries. Mon papa m’avait réconfortée en évoquant mon courage. Je crois pourtant avoir beaucoup pleuré !
Très vite remise sur pieds, je repris mes missions d’enfant. Les heures n’étaient pas assez longues pour imaginer des jeux d’aventures, pour rêver, pour lire, pour taquiner ma sœur, pour suivre mon chat dans ses pérégrinations, pour écouter la musique de mon père, pour observer les progrès de mon petit frère grandissant, pour regarder ma mère faire de ce lieu un nid douillet. Si bien que Noël arriva très vite. C’était le tout premier dans notre nouveau chez nous. La maison devenue habitable ne pouvait malheureusement pas encore accueillir d’invités. Nous allions traverser les fêtes de fin d’année sans la famille.
Ma mère, très croyante, tenait à assister à la célébration de la messe de minuit, qui, comme son nom l’indique, commençait à 23h pour se terminer à minuit, heure de naissance (je présume) du petit Jésus. Bravant donc la neige (oui je vous rappelle qu’il neige sur les Varennes) qui semblait ne pas vouloir s’arrêter, le froid, la fatigue, nous voilà, tous les cinq dans la 2CV de papa, en direction de l’église du bourg, à trois kilomètres de là. Sur place, un bon nombre de voitures étaient déjà là, obligeant mon père à nous déposer devant le parvis et repartir se garer plus loin. Nous ne le reverrons pas, mon père se refusant de mettre les pieds dans une église.
La luminosité douce émanant des bougies dispersées dans l’édifice, l’odeur de l’encens, les tenues très endimanchées de chacun, les décorations de Noël me remplirent d’une joie profonde. Mais ce ne fut rien au regard du sentiment d’émerveillement que je ressentis en  découvrant la crèche vivante. J’étais «  aux anges », transportée dans une autre dimension où les histoires que l’on m’avait racontées prenaient vie, ici, dans cette petite église. Tout autour de moi était beau, dans une ambiance feutrée et paisible. Je ne voulais pour rien au monde voir ce rêve s’arrêter.
Quand il fallut sortir, j’étais fatiguée mais légère, les paupières lourdes mais les yeux encore ébahis par tant de magnificence certainement exacerbée par mon regard d’enfant. La neige n’avait pas cessé de tomber. Tout autour de nous était blanc. Soudain le monde était différent : les bruits étaient étouffés, les voix chuchotaient, tout semblait endormi, disparu sous l’épais manteau neigeux.
Mon père n’était pas au rendez-vous. Ma mère, mon petit frère endormi dans ses bras, se mit à chercher la voiture, moi tenant la main de ma petite sœur et courant derrière elle. Quelle étrange sensation de marcher dans la neige vierge de tout, de voir l’empreinte de ses petits pas…. Cette journée était vraiment unique !  Maman finit par reconnaître la 2CV garée dans un champ quelques mètres plus loin, la seule d’ailleurs. Papa avait quasiment disparu sous la neige !
Cette vision me paralysa. Une peur indicible prit naissance dans mon esprit. Pouvait-on respirer dans une voiture recouverte de neige ?, Mon cerveau de petite fille fit le parallèle avec le fait de mettre la tête sous l’eau…Au bout d’un moment on doit la sortir pour respirer… Cette crainte prit de l’ampleur, je commençais à trembler. Je serrai fort la main de ma sœur tout en fixant le manteau neigeux qui recouvrait, c’est sûr, le corps de mon père mort.
À cet instant, d’un geste bref, ma mère déneigea la porte du conducteur puis cogna quelques coups virulents. La porte s’ouvrit et je vis le visage de mon père, plutôt hagard, les yeux tout justes sortis d’un sommeil furtif. Il sembla surpris de nous voir et s’étonna que la messe soit déjà terminée. Puis il réalisa la présence de toute cette neige. Moi, j’étais soulagée de voir mon héros encore en vie.
Finalement  installée dans la voiture, à l’abri, je réalisai qu’une fois arrivés à la maison, nous aurions peut-être la bonne surprise de trouver nos cadeaux sous le sapin, le père Noël ayant eu assez de temps pour nous les livrer. Je songeai à cela les yeux mi-clos lorsque je remarquai l’énervement de mon père qui n’arrivait pas à sortir la voiture du champ. Nous étions embourbés ! C’en était trop pour ma mère qui se voyait déjà passer la nuit de Noël dans ce tacot. Elle sortit manu militari de la voiture et on l’entendit appeler à l’aide dans le noir. Mon père, lui, tentait de manœuvrer, mais la neige en avait décidé autrement ! La chance (ou alors quelqu’un là-haut qui a eu pitié de nous !) voulût que l’équipe locale de rugby qui sortait d’un repas bien arrosé, passait par là et entendit les appels de ma mère. En un tour de muscles, ils sortirent la 2CH de ses entraves terreuses, avec trois enfants à l’intérieur. Ils ne manquèrent pas non plus de railler mon père pour s’être garé dans un champ par un temps pareil. Il a encaissé, les a remerciés puis nous a ramenés à bon port, sains et saufs !
Quel soulagement lorsque nous avons franchi le seuil de la porte. Quelle déception lorsque je constatai que le Père Noël, lui, ne l’avait finalement pas passé ! Il fallût attendre le lendemain matin. Heureusement ma fatigue gagna la bataille contre mon impatience !
Pour la petite anecdote, la mission de mon père était de mettre les cadeaux sous le sapin pendant que nous étions à l’église. Oui mais voilà, ma mère n’avait pas prévu qu’il s’endormirait d'un sommeil angélique dans la voiture !




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