Le Noël de Lucien ...........la suite!




Il est déjà presque l’heure de déjeuner quand Cyrile sort de son bureau. Elle s’est attaquée toute la matinée à une montagne de paperasses sans en voir le bout quand un bruit à l’extérieur de la maison lui rappelle la présence de Lucien, ce vieil homme plein de surprises.
Quelques pensionnaires sont en pleine préparations du repas de midi pendant que les autres s’occupent des enfants dans la salle de jeu. Une certaine douceur règne dans la résidence depuis le matin. 
Lorsque Cyrille a présenté Lucien au moment du petit déjeuner, certaines sont venues lui serrer la main, d’autres, les plus effarouchées, lui ont souri ou adressé un signe de la tête. Lucien leur a répondu aussi timidement. Puis il s’est avancé vers les enfants avec douceur pour ne pas les effrayer. En se mettant à leur hauteur, il déposa à chacun au creux de leur minuscule main une petite figurine de Noël, tout droit sortie de sa poche. Le regard de chacun traduit d’abord la surprise puis le bonheur de recevoir un si joli cadeau.
Aussi discrètement, il repartit faire ce qu’il a prévu, laissant derrière lui des petits yeux emplis de curiosité et d’éclats.
Toute la matinée, on entendit Lucien bricoler dehors sans discontinuer. Mais l’ordre a été donné de ne pas sortir tant qu’il n’a pas fini. Elles ont promis. Pour faire patienter les enfants qui ne pensent qu’à aller voir « le gentil monsieur », des mamans organisent de petits ateliers pour les occuper : fabrication de sablés de Noël, de guirlandes, de photophores.
Tout ceci contribua à adoucir l’ambiance de ce foyer. C’est une trêve que chacune désirait mais n’osait espérer.

Cyrille entre dans la cuisine pour savoir où en sont les préparatifs. Stella, une des pensionnaires, propose d’offrir à Lucien le couvert.
« Tu sais qu’il ne veut pas qu’on le dérange tant qu’il ne l’a pas fait savoir. Mais tu as raison, ça fait des heures qu’il est dehors, je vais aller lui demander. »
Elle sort sur le perron les mains sur les yeux.
« Lucien ! Vous m’entendez ? Lucien !
Une voix tout près lui répond : Oui, je suis là. Vous pouvez ôter vos mains.
Ce qu’elle fit. Il est assis sur les marches du perron, son chien à côté de lui. Ils déjeunent, tous les deux, des petits sandwichs faits maison.
-Nous voulions vous inviter à déjeuner, mais je vois que vous avez pris de l’avance.
-Oui, Gaspard et moi avons nos petites habitudes. C’est gentil, remerciez-les bien de ma part mais je n’ai pas le temps. J’ai encore beaucoup de choses à faire.
- Ok, elles vont être déçues mais je leur expliquerai que ça vaut le coup d’attendre…
-Merci.
Elle retourne sur ses pas avec l’immense envie de regarder ce  qu’il bricole depuis ce matin mais une petite voix intérieure lui déconseille, alors elle rentre au chaud sans essayer.
Toute l’après-midi se déroule comme le matin. Les résidentes s’organisent autour des préparatifs du repas de Noël, des activités proposées aux enfants pour leur rendre le temps moins long. Mais elles ont toutes à l’esprit qu’un homme est dans leur jardin en train de préparer une surprise et cette idée les rend aussi excitées et curieuses que leur progéniture.

Lucien est content. Son travail est presque achevé. Il a mal partout, il est exténué mais heureux de la tâche accomplie. C’était quand la dernière fois qu’il a ressenti un tel sentiment de satisfaction ? Avec Eglantine, c’était chose fréquente mais depuis son départ, il n’en avait plus. Alors il goûte ce moment en fermant les yeux, manière de le faire durer un peu.
En rouvrant les paupières, il s’aperçoit que le soir commence à tomber. Il regarde l’heure sur sa montre. 
« Il est temps que je me prépare, se dit-il ».
Il glisse un petit mot sous la porte d’entrée puis se rend dans la petite remise derrière la maison.

Roméo court partout dans la maison. Après le bain, sa maman lui a enfilé son pyjama de Noël et il veut le montrer à tout le monde. Chaque sourire le fait rosir et le rempli de joie. Continuant sa course dans le couloir de l’entrée, il voit un petit papier par terre. Il l’attrape, le regarde avec curiosité. C’est à ce moment-là que Cyrille apparaît. Roméo lui adresse un large sourire et lui adresse « Tins » en lui tendant la petite feuille.
-Oh merci Roméo ! Tu m’offres un dessin, que c’est gentil….ah non je vois que c’est signé Lucien….
Sur le papier, sont inscrites les dernières instructions de notre homme :
« A 20 heures précises, sortir tous dans le jardin, bien couverts ! »
Cyrille s’empresse de prévenir toutes les résidentes. Une certaine excitation se manifeste à l’annonce du rendez-vous. « Mais qu’est-ce qu’il a mijoté ? On ne voit rien par la fenêtre ! Mais qu’est-ce qu’un vieux monsieur a à faire de nous ? »
Cyrille sourit. Elle a rarement vu ces femmes aussi joyeuses ensemble. Le malheur n’a heureusement pas effacé toute trace de candeur et de joie. Elle se rend compte que, seulement par sa présence, cet homme fait beaucoup.

19h45. Lucien est prêt. Il a enfilé son costume, ainsi que Gaspard. Il tremble un peu, non pas de froid (il ne le sent plus !) mais de peur que tout capote. Il repasse dans son esprit tout son travail de la journée afin de déceler un oubli, une erreur, mais non, tout lui semble parfait. Alors pourquoi cette crainte en lui? Parce qu’il ne veut pas rater la promesse qu’il a faite à sa femme.

Eglantine savait que son homme était un peu farouche, mais elle connaissait aussi son grand cœur. Tout au long de leur vie de couple, il avait enchanté ses journées par de petits gestes anodins mais qui prouvaient son amour pour elle : son café préparé tous les matins, une fleur ramassée sur le chemin, un caillou en forme de cœur trouvé lors d’une promenade, ses lunettes réparées, le dernier biscuit laissé à son attention, sa façon de lui réchauffer les mains…. C’était sa manière à lui de lui montrer qu’il l’aimait et qu’elle avait toute la place dans sa vie. Alors, lorsqu’elle sentit que la fin approchait, elle décida d’écrire une liste où noter toute une série d’activités, histoire de l’occuper et indirectement d’avoir une raison de rester en vie.
Quand elle l’en informa, il fit la moue mais finit par faire la promesse de suivre ses instructions à la lettre.
Lorsque le notaire remit à Lucien l’enveloppe contenant les dernières volontés d’Eglantine, il était loin de se douter de ce qu’il l’attendait.
Assis dans son fauteuil fétiche près du poêle, son fidèle Gaspard à ses pieds, il ouvrit délicatement la lettre et en sortit une feuille de papier artisanal décorée de fleurs séchées. Il reconnut l’écriture fine à l’inclinaison légère vers la gauche de sa femme. Malgré les larmes qui noyaient ses yeux, il lut jusqu’au bout cette fameuse liste, qui en grande partie le fit sourire. Pourtant, la dernière proposition le fit sursauter : Non ! Elle ne pouvait pas exiger cela de lui ! 

La nuit est totalement installée maintenant. Lucien est prêt et il attend nerveusement l’heure de sortir. Gaspard, lui, regarde son maître, qu’il trouve beau affublé ainsi, avec amour. Il lui semble sentir à nouveau une petite dose de légèreté et d’excitation dans l’attitude du vieil homme. Alors, il manifeste sa joie en remuant la queue à tout-va et trépigne d’entrer en action.

Vingt heures sonnent au clocher de l’église.
Cyrille et tous les pensionnaires attendent sagement derrière la porte le dernier coup pour sortir.
A l’instant fatidique, elle regarde l’assemblée de femmes et d’enfants habillés chaudement et leur dit : «  Ouvrez vos yeux ! Vos mirettes ! Noël est arrivé ! ».
Au moment où la porte s’ouvre, une lumière éclatante envahit le perron et le jardin. Tout le monde sort et en prend plein les yeux !
Des guirlandes lumineuses recouvrent presque totalement la façade de la maison qui scintille de mille feux. Les quelques arbustes ont été décorés de boules, de guirlandes et de figurines pour l’occasion. Partout des bougies et des lampions ont été posés pour donner à ce jardin une chaleur nouvelle. Des petits lutins articulés jouent des chants de Noël. Le jardin est une fête ! Pas un espace n’a été oublié.
Lucien observe de sa cachette la réaction des enfants. Il voit leur petite frimousse intriguée puis émerveillée par tant de magie et ça lui réchauffe le cœur. Peu à peu, les spectateurs déambulent timidement pour ne rater aucun détail. On entend des « Oh ! » et des « Ah ! » d’admiration.
C’est alors que nos deux compères décident de sortir de leur cachette. Un bruit de clochette annonce leur arrivée. Et d’entendre : « Le Père Noël ! C’est le Père Noël !»
En effet, c’est son équipage qui fait son entrée dans le jardin !  Un magnifique traîneau tiré par un seul renne qui ressemble étrangement à un chien, à qui on aurait accroché des bois lui donnant une allure majestueuse. Gaspard ne s’est jamais senti aussi beau !
Lucien, enfin devrai-je dire, le Père Noël, porte son grand manteau rouge et sur son dos une hotte remplie de cadeaux. Tout souriant, il s’approche de la troupe en arguant un « Joyeux Noël ! » auquel tous répondent.
Une euphorie prend place dans le jardin. On veut caresser le pseudo renne et câliner le père Noël. Les plus timides hésitent, chouinent un peu mais très vite imitent les autres. Lorsque le froid commence à se faire sentir, la joyeuse troupe se dirige vers la maison, rejoindre la grande table qui a été dressée pour l’occasion. La maison sent le pain d’épice et la dinde aux marrons.
Depuis son entrée dans le jardin, Lucien est aux anges. Il ne pensait pas avoir autant de succès auprès des enfants et de leurs mamans ! Ses rhumatismes, le froid, la mélancolie, envolés !
Une fois au chaud, des souvenirs l’assaillent, et curieusement, il les accueille avec le sourire car ils lui rappellent que la vie est aussi parsemée de petits moments de bonheur comme celui-ci. Les enfants l’installent dans le grand fauteuil pour qu’il se repose, il vient de loin tout de même, pendant que les mamans s’affairent dans la cuisine. Il a déposé sa hotte près du sapin et s’étonne que les enfants ne lui réclament pas la distribution. Au contraire, ils s’assoient devant lui puis l’un d’eux dit : « C’est l’heure de l’histoire ! » en lui tendant un gros livre.

Cyrille regarde la scène d’une mine réjouie. Jamais dans le foyer elle n’a ressenti autant de quiétude. « Cet homme est fabuleux !  se dit-elle. On ne pouvait pas espérer mieux ! »
Et elle se remémore les mots de Lucien lors de leur rencontre. Il lui avait murmuré à l’oreille ces mots : « Dans ma longue vie, je n’ai pas été bon dans les rapports humains. Je n’ai réussi qu’avec ma femme Eglantine. Pour elle, j’aurai donné ma vie… J’aurai décroché les étoiles… Je lui ai fait une promesse pour qu’elle parte en paix et je n’ai qu’une parole. » Il lui raconte alors le dernier moment de vie de son épouse où dans un dernier souffle elle lui avait dit : «  Je t’en supplie Lucien, montre la grandeur de ton cœur. Ne le laisse pas s’étriquer avec la solitude. Quand je serai partie, je veux que tu l’exerces à s’ouvrir aux autres. Promets-moi que tu le feras ! Et promets-moi aussi que tu ne passeras pas Noël tout seul… » Lucien avait promis. Et puis, il y a eu l’épisode de la liste. Il n’avait plus le choix.

Quelques semaines avant Noël, il a glané des jouets de toutes sortes dans les brocantes et les vide-greniers et en a réparé certains. Puis quand il a estimé le nombre suffisant, il les a soigneusement empaquetés. Il essaya de ne pas trop écouter la petite voix qui l’informait du ridicule de la situation « Tu n’es pas le Père Noël ! Pour qui tu te prends ! » Non, il se concentra sur sa tâche. Quand il fût prêt, il regarda s’égrainer les jours avec toujours la même question en tête : « A qui vais-je offrir tous ces cadeaux ? » La réponse, il l’aura deux jours avant la date fatidique, dans la bouche de Dédé le facteur.
Arriva ensuite le 24 décembre, la suite, vous la connaissez !
Ah non, vous vous dites « Mais comment s’est passé la distribution de cadeaux et le reste de la soirée ? » Eh bien, je vous répondrais « Comme dans tous les foyers, du moins ceux dont les membres font en sorte de faire briller la magie de Noël : des enfants ravis de recevoir un jouet qu’ils n’ont pas forcément commandé mais qui correspond aux envies de son âge, des mamans heureuses de voir leur chérubin aux anges, un Lucien qui ne sait plus où ranger tout l’amour qu’il reçoit à travers les sourires et les cris de joie des enfants. Il ne verra d’ailleurs pas les heures passées et rentrera bien tard, repu des émotions de la soirée.
En s’allongeant dans le lit froid, il remerciera Eglantine de lui avoir fait un si beau cadeau : lui donner le courage de s’ouvrir aux autres. Il a tellement reçu en retour… même un petit mot qu’il a trouvé glissé dans sa poche, où il était écrit ceci :
« Cher Lucien, vous ne pouvez pas vous arrêter en si bon chemin. Revenez demain et tous les autres jours si vous le souhaitez, vous serez toujours le bienvenu.» Cyrille votre amie.

Dernière proposition de la liste d’Eglantine :
« Le soir de Noël, enfile ce costume de Père Noël que tu mettais à chacun de mes anniversaires pour me faire rire. Pour une fois, tu le porteras à la bonne époque ! 🎅🎄🎆🎇


Chères lectrices, chers lecteurs, je vous souhaite un Joyeux Noël! Merci pour votre fidélité....c'est le plus beau cadeau à mes yeux. 😍

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