Le Noël de Lucien
Comme chaque matin,
après avoir pris son café en écoutant d’une oreille les infos, Lucien lave son
bol, débarrasse la table, éteint le poste de radio et arrache la feuille de
l’éphéméride accrochée prêt de la fenêtre. Ce geste devenu habituel, inscrit
dans sa routine quotidienne, le fait aujourd’hui sursauter ! Le 24 Décembre
est arrivé ! Le temps est passé si vite, pense-t-il, qu’il n’a pas réalisé
que la fin de l’année était déjà là. Il encaisse donc la nouvelle puis se
dit «Ben va falloir se bouger mon cher Lucien ! »
Il enfile donc son
lourd manteau, son bonnet de laine, attrape ses clés et sort de chez lui, suivi
de son fidèle chien Léonard. Dans sa remise, il dépoussière son vélo qui n’est
pas sorti de là depuis des mois, vérifie les freins, l’allumage de la petite
lampe et le gonflage des pneus qui commencent à fatiguer. Il prépare aussi sa
petite charrette qu’il accroche à son vélo et dans laquelle il dépose des
outils et deux cartons.
Lucien prend donc la
route, suivi de son chien, très heureux de faire enfin de l’exercice. L’air est
frais, il ne regrette pas de s’être bien couvert, mais le ciel est clair et la
vue dégagée. Notre cycliste rencontre peu de véhicules, seulement l’estafette
du livreur de pain et le facteur qui lui aussi pédale en sifflant. Il commence
à percevoir les lumières du bourg vers lequel il se dirige. Pourquoi avoir
choisi cet endroit ? Il n’en sait trop rien. Il n’y allait jamais avant.
Mais une petite voix très discrète lui a soufflé l’idée, il y a deux matins,
quand il a appris par la bouche de Dédé le postier, au détour d’une discussion,
que le foyer pour femmes seules était de nouveau plein à craquer.
Arrivé devant la
mairie, il s’arrête, émerveillé par le majestueux épicéa qui trône au milieu de
la place, orné de lumières scintillantes et de décorations colorées. Des
souvenirs d’enfance, l’envahissent, des rires, des moments de tendresse et de
chaleur, de partage… Gaspard jappe à ses pieds comme pour lui dire « Hé,
ressaisis-toi ! On a une promesse à tenir ! Il faut y aller ! »
Lucien reprend donc
son chemin, des étincelles pleins les yeux. Il ne croise personne dans les
rues, le froid poussant les gens à rester au chaud ou à prendre la voiture
plutôt que de marcher. Il s’en moque, son esprit préférant réfléchir à comment
il va s’y prendre pour faire ce qu’il a à faire. Arrivé devant le foyer, il
pose un pied à terre et observe l’édifice. Des fenêtres sont éclairées mais il
n’y a pas de bruit. Tout doucement, il descend de son vélo et s’avance jusqu’au
portillon qu’il entrebâille pour entrer sa bicyclette et son chien. Gaspard
d’ailleurs est très occupé à renifler les nouvelles odeurs qu’ils rencontrent.
Il remarque de ci de là des petits jouets dans la parcelle de pelouse et trouve
même des miettes de biscuits, hum ! Lucien ne prête guère attention à son
compagnon de route. Il s’avance vers le perron, monte les quelques marches et
stoppe son avancée pour penser à ce qu’il dira quand il on lui demandera ce
qu’il fait là.
Car le problème de
Lucien est que sa réputation de vieil
aigri solitaire est connue dans toute la vallée et qu’il est presque sûr que la
« Madeleine » de l’épicerie ou la « Huguette » de la boulangerie
auront mis les femmes de passage dans ce foyer au courant de deux trois
anecdotes qui l’ont rendu célèbre bien malgré lui.
Je sens que j’ai
piqué votre curiosité. Vous voulez savoir ? Depuis qu’il est tout jeune,
Lucien n’a rien fait comme les autres hommes du village. Taiseux, casanier très tôt, il n’avait pas les mêmes centres d’intérêts que les autres. Pendant que la jeunesse du village comptait fleurette, lui travaillait aux champs avec les anciens. Pour la fête du village, il aidait à installer la scène, les éclairages, la buvette puis disparaissait jusqu'au lendemain pour aider à ranger. Il était solitaire mais toujours serviable. Tout l'inverse des autres hommes d'ici. Si bien que lorsqu’il épousa Eglantine, une belle femme rencontrée dans le nord de la France lors de son service
militaire, on fut surpris. Elle, si aimable et chaleureuse, ne changea pas ou
peu le bonhomme, du moins en société. Ils n’eurent pas d’enfants mais le
bonheur se lisait dans le sourire d’Eglantine chaque jour, jusqu’à ce qu’une
grave maladie l’emporte, il y a un mois de cela. Lucien est maintenant seul,
égal à lui-même, pensait-on.
Tout cela, il le
sait, et ne fait rien pour que ça change. La seule chose qu’il l’importe depuis
un mois et de tenir sa promesse qu’il a faite à Eglantine juste avant son
dernier souffle.
Il est toujours
devant la porte, songeur, quand celle-ci s’ouvre subitement. Il sursaute et la
femme qui apparaît aussi.
Il balbutie un
« Bonjour » tout en baissant la tête et en enlevant son bonnet. La
jeune femme, interloquée, murmure « Vous m’avez fait peur. Que voulez-vous ? »
en essayant de dévisager le colosse qui bouche l’embrasure de la porte et
l’empêche de sortir. Il n’est pas rare qu’un mari violent ou un ex-copain
vienne faire des esclandres pour terroriser celle qui est partie. Mais elle
voit les signes d’un certain âge qui laisse douter d’une paternité récente.
N’ayant aucune réponse et notant la gêne de cet homme, elle lui propose
d’entrer dans le vestibule, persuadée qu’il n’est pas là pour en découdre.
Lucien accepte
d’entrer dans la chaleur, le froid ayant envahi toutes les parcelles de son
vieux corps courbaturé. En remerciant la jeune femme, il ose la regarder
quelques secondes. Une dense chevelure
brune, des yeux pétillants et curieux, une bouche charnue, un sourire
chaleureux. Il est rassuré, sa réputation n’a pas réussi à le précéder partout!
Elle ne semble pas inquiète de le voir et cerise sur le gâteau, c’est un joli
brin de femme.
- Je m’appelle Cyrile et je travaille ici. Que
puis-je faire pour vous ? »
Lucien avale sa salive. Il va falloir parler, il
n’a plus le choix.
- Je suis là pour aider.
La surprise affichée sur le visage de la jeune
femme le refroidit un peu mais il continue :
- Laissez-moi juste un peu de temps, je suis vieux
et je n’ai plus la rapidité d’avant, mais je vous promets que tout sera prêt
avant ce soir minuit.
Cyrile écarquille les yeux, elle pense mal
comprendre. De quoi parle-t-il ?
Lucien s’avance dans le couloir qui donne sur un
grand salon pour l’instant inoccupé. Au fond de celui-ci, il découvre un beau sapin
décoré.
- Je vois que vous avez déjà commencé, dit-il à la
jeune femme. Il est très joli votre sapin.
- Ce sont les enfants qui l’ont décoré mercredi.
Vous voyez ces petites boules ? Ce sont eux qui les ont confectionnées !
Mais que voulez-vous dire par « commencer » ?
- Hum, répond-il songeur sans avoir écouter la question.
Avez-vous les clés de la remise ?
- Euh… je crois. Mais que
voulez-vous faire avec ?
Lucien regarda son interlocutrice dans le fond des
yeux.
- Je vais vous dire un secret.
Et il s’approcha de son oreille pour lui murmurer
toute l’affaire.
La suite dans quelques jours.....💖🎅🎇
Commentaires
Enregistrer un commentaire