C’est un grand jour pour
Zélie.
Des mois qu’elle attend ce
moment d’une patience tout juste contrôlée, des nuits qu’elle en rêve avec un
plaisir non dissimulé : entrer à la grande école. Il faut dire qu’à force d’entendre
les adultes plébisciter la classe préparatoire, elle a sérieusement fantasmé. Elle s’est imaginée pouvoir lire toute seule
les livres qu’on lui offre ou qu’elle emprunte une fois par mois au bibliobus, donner
du sens aux jolis mots écrits sur les boites de céréales, découvrir les titres
des films à la télé, rire des blagues trouvées dans les carambars, savourer les
cartes postales de ses grands-parents, parcourir les grandes affiches dans la
rue ou les magazines de ses parents. Elle a même l’espoir d’y voir un peu plus
clair dans l’univers qui l’entoure. C’est que le regard très observateur de
Zélie sur notre monde est incisif. De sa petite hauteur, elle observe le monde
des adultes, une tribu de grandes sauterelles qui sautillent partout, toujours très
occupées, et qui gesticulent inlassablement. Parfois, elle a bien du mal à les
suivre. On n’a pas beaucoup de temps à lui consacrer pour lui expliquer tout ce
qui l’interpelle. Alors, quand elle a compris qu’à l’école, elle allait apprendre
de nombreuses choses utiles, elle s’est sentie comme soulagée. Comme si était
venu le moment où le mode d’emploi pour mieux vivre parmi les siens allait
enfin lui être livré.
Elle deviendrait autonome.
Elle se débrouillerait enfin comme une grande.
Premier jour d’école.
Rencontre avec sa nouvelle maîtresse. Elle a plutôt l’air gentil, attentive aux
petites météorites qui s’agitent autour d’elle, bienveillante à leur bien-être.
C’est une bonne chose, Zélie pourra sûrement lui poser toutes les questions qui
trottent dans sa tête et sur lesquelles ses parents ont calé. Elle retrouve ses
amis de l’année dernière, deux têtes nouvelles en prime.
Découverte de la classe,
du matériel, de l’emploi du temps, des règles de vie. C’est interminable pour
Zélie. De longues heures viennent à bout de sa motivation. Son corps et sa tête
commencent à lui faire défaut. Elle baille de faim et de sommeil.
« Quand est-ce que
commencent les choses sérieuses ? » se demande-t-elle en luttant
comme une guerrière au bâillement qui la démange. A deux ou trois reprises,
elle croit le moment arrivé, mais non, fausse alerte. Pause du midi à la
cantine. Bruit, chahut, nourriture au goût légèrement bizarre, jeux avec les
quelques copines qui, comme elle, n’ont pas la chance d’avoir une maman qui reste
à la maison. Zélie se détend un peu et oublie sa déception du matin.
Retour en classe. Revigorée,
Zélie croise les doigts. Elle espère que la maitresse va se décider, enfin, à leur
dévoiler la clé pour savoir lire. Au tableau, elle remarque une très belle
écriture ronde et élégante tracée à la craie. Alors qu’elle se trémousse
d’impatience sur le banc, son regard va de mot en mot. Quelle agréable surprise
lorsqu’elle en reconnait plusieurs. Ce sont des prénoms, ceux des enfants de la
classe. Elle ne peut s’empêcher de crier :
- Je sais ce qu’il y a
d’écrit !
- Parfait !
répond Madame Tulipe, Peux-tu nous en dire un peu plus ?
- Je
vois mon prénom et celui de Lydia, de Simon, de Moussa…
- Très
bien Zélie, qui veut essayer de lire d’autres prénoms ?
- Mais
je peux les lire !
- Oui
Zélie, je sais, mais il faut laisser la place aux autres. Tu as eu ton tour.
- Mais
je dois m’entraîner, je veux apprendre à lire!
- Bien
sûr, comme tous les enfants de cette classe, dit l’institutrice sur un ton tempéré.
Zélie réfléchit. Elle doit
avoir raison cette maîtresse, mais ce qu’elle ne sait pas, c’est que pour cette petite battante, c’est devenu une extrême urgence.
Après la séance, chaque
élève se voit attribuer un grand cahier dans lequel est collée une liste
rassemblant tous les prénoms de la classe.
-
Vous
vous entraînerez à lire à la maison tous les mots qui sont écrits. Ce sera
votre lecture du soir, explique l’institutrice.
-
Quoi !
rétorque Zélie stupéfaite. C’est tout ?
-
Soit
patiente Zélie ! D’ici quelques jours, tu auras une phrase ou deux à lire.
-
Dans
combien de jours ?
-
Ne
t’inquiète pas, ça arrivera vite !
Zélie fulmine. Mais pourquoi
faut-il toujours attendre ? Des prénoms qu’elle a lu cent fois déjà en
Maternelle, c’est une blague ! Quelle perte de temps ! Elle en veut
plus !
Elle décide de bouder pour
marquer sa désapprobation. Madame Tulipe reste totalement indifférente à son
attitude renfrognée et propose aux enfants de leur lire une histoire, celle
d’un chat noir, Splat, qui lui aussi fait son entrée au CP.
Deux pages suffisent à
dérider Zélie. Le personnage désopilant l’a
fait se tordre de rire à chaque rebondissement. Zélie est bon public.
Lorsque la maîtresse referme
le livre, Zélie lève la main.
-
Est-ce
que je peux emprunter le livre de Splat pour le lire chez moi ?
-
Bien
sûr, si tu me promets de le ramener demain en bon état.
-
Promis
Maitresse, foi de colibri !
Toute fière, elle se rend au vestiaire pour y ranger le bel
album dans son cartable qui sent le neuf. Dès qu’elle rentrera chez elle, elle
se jettera dessus, le dévorera page par page.
Après l’école, c’est la
garderie. Ses parents la récupèrent une fois leur journée de travail terminée.
Lorsque enfin elle est de
retour dans le cadre feutré de sa chambre, elle est épuisée. Une chose l’aide à
ne pas s’effondrer de fatigue sur son lit, le livre qui l’attend sagement dans
son cartable. Comme l’avait exigé la maîtresse, elle a pris soin, avant de
monter, de montrer son cahier de lecture à ses parents et de leur lire
consciencieusement les prénoms écrits.
Vous auriez-vu la fierté de sa maman et
le sourire de son papa. « Il ne leur faut pas grand-chose »
pensa-t-elle, attendrie par ces adultes si sensibles finalement.
Une fois seule, donc, elle
attrape son sac, l’ouvre et cherche le livre qui n’est pas là !
Zélie est effondrée. Des
larmes envahissent ses grands yeux verts stupéfaits.
Elle réfléchit, repasse
les images dans sa tête. Oui, je l’ai bien mis dans mon …oh non, je sais !
Je me suis trompée de cartable ! Julia a le même modèle que le mien !
C’est elle qui a le livre !
Une tempête éclate dans la
tête de Zélie. Un ouragan de petite fille, un raz de marée de reproches. « Quelle
idiote ! Quelle tête de linotte, elle a raison maman ! C’est pas
croyable d’être aussi étourdie ! Premier jour d’école, première
gaffe ! Je me déteste ! Je m’en veux ! Je m’en veux ! Je
m’en veux ! »
Elle voudrait bien crier
de rage mais elle ne veut pas alerter ses parents. Alors, elle attrape son ours
en peluche, le seul qui arrive à la calmer, le serre fort contre elle et laisse
couler les grosses larmes qui lave sa colère. Très vite, elle s’endormira, à
même la couette, son doudou entre ses bras. Ses parents passeront, plus tard,
lui souhaiter une bonne nuit qu’elle aura déjà bien entamée.
Le lendemain matin, ils la
trouveront assise sur son lit, déjà prête, son cartable près d’elle.
Pendant qu’ils se
prépareront, elle les attendra en piétinant devant la porte d’entrée, puis les
quittera à toute allure sans même les embrasser au portail de l’école.
C’est qu’elle a quelque
chose à faire, Zélie. Quelque chose de la plus haute importance : réparer son erreur et
commencer sérieusement son travail d’apprentissage, en évitant toute nouvelle tempête !
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