Dommage


Maintenant j'en suis sûre, ma mère ne m'aime pas. 
Je pense même qu'elle me déteste. Elle m'en a encore donné la preuve aujourd'hui.

Tout à l'heure, je suis rentrée de l'école de bonne humeur. Je débordais de joie parce que ma copine Sara m'a fait un méga super cadeau.
Elle a attendu que j'arrive dans la classe vers 8 h 20.  Comme à son l'habitude, elle m'a un peu aidée à vider mon cartable et ranger mes affaires dans le casier. Elle m'a accompagnée dans le vestiaire pour que j'y dépose mon sac et mon manteau. En général, on en profite pour discuter un peu mais là, elle est plutôt silencieuse. Puis nous retournons en classe, quand, subitement, elle sort de sa poche une petite boîte en s'exclamant "Cadeau!!!!!!" 
OUAH! Quelle surprise! Je suis toute estomaquée devant cette jolie boite et carrément joyeuse de voir la mine réjouie de mon amie si fière d'avoir réussi son coup. Le bonheur au bout des lèvres, je vais délicatement l'ouvrir et y découvrir un joli collier qui me fait écarquillér les yeux. Sara me précise que c'est "un collier de l'amitié" que l'on offre à sa meilleure amie. Je ne m'attendais vraiment pas ce matin à recevoir une telle déclaration! Je fonds de plaisir. Je ne sais plus qui j'aime le plus, Sara ou le collier. Elle m'a touchée en plein cœur en me l'offrant et je n'ai pas l'habitude qu'on me fasse des cadeaux, sauf pour mon anniversaire bien sûr. Sara me propose de l'essayer tout de suite mais le fermoir est compliqué. La maîtresse s'approche de nous. Elle semble être au parfum puisqu'elle me demande "Alors, il te plaît?" Je secoue la tête énergiquement  car l'émotion me noue la gorge. "Veux-tu de l'aide pour le mettre?" Elle est chouette cette maîtresse, elle anticipe toujours mes besoins.
Toute la journée, je vais exhiber mon magnifique pendentif et me sentir belle, unique, aimée.  Je n'arriverai pas à quitter ce sourire jusqu'au soir, signe incontestable de mon bonheur, de mon bien-être, de ma merveilleuse journée.
Bien sûr, je n'ai pas manqué de remercier mille fois ma copine Sara et je cherche déjà comment je pourrai à mon tour lui témoigner l'ampleur de mon amour pour elle.

A la sortie de l'école, mon père m'attend et comme d'habitude, il me ramène à la maison avant de partir à son travail. Oui, il fait tout à l'envers mon papa, il travaille la nuit et dort le jour! Sur le chemin, je lui raconte ma fantastique journée. J'agrémente mon histoire de mimiques et de gestes, je mime ma surprise devant la petite boîte, j'imite Sara et la maîtresse, ce qui a pour effet de faire rire mon père. Il est ravi de me voir si gaie. Il sent à ma façon d'être que je goûte encore ce moment précieux. 

Arrivés chez nous, il se prépare pour partir à son travail. Comme j'en ai fini avec mon histoire, je cours vite dans ma chambre retrouver mes poupées qui ont droit, elles aussi, à un compte-rendu complet de ma journée. Je suis tellement occupée avec elles que je n'entends pas la porte d'entrée claquer et sursaute lorsque ma mère fait irruption dans la pièce. Elle a sa tête des jours où elle s'énerve pour un rien. Elle me demande pourquoi je ne suis pas encore en pyjama- oui ma mère rentre tard du travail et je n'ai pas vu le temps passer avec mes poupées- et pourquoi il y a tant de bazar dans ma chambre? C'est normal, il fallait bien, pour rejouer la scène de ce matin, des figurants représentant les élèves de ma classe. Tout en me parlant, elle aperçoit le collier autour de mon cou. Ça lui a cloué le bec direct! Mais quelques secondes car après, son visage s'est encore plus déformé, ses yeux sont devenus énormes et elle m'a craché au visage "A qui t'as volé ça?"
Voilà ! Ça, c'est tout ma mère! Elle ne peut pas imaginer qu'on puisse me faire un cadeau. Pour elle, c'est forcément le résultat d'une mauvaise action de ma part. J'avale ma salive et, le plus calmement possible, je lui réponds : " Non, c'est Sara qui me l'a offert." A ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, elle explose de rire, comme ça. Et puis d'une voix trop bizarre, elle dit : " Donne-moi ce collier! Demain, j'irai à ton école voir cette Sara et je lui demanderai si c'est vrai! Gare à toi!" 
Alors qu'elle sortait de ma chambre, elle se retourne et me montre du doigt: " Dis-donc la chaîne en or que je ne retrouve plus, ça se trouve c'est toi qui l'a prise!" 
Là, c'est trop pour moi. Je ne sais pas où elle est sa chaîne. Je sais que je fais des bêtises, mais voler des bijoux, en plus à ma mère, ça jamais! Des larmes coulent sur ma figure et m'empêchent de dire des trucs pour me défendre. Tant mieux, comme ça je ne la vois plus me détester. L'eau salée qui envahit mes joues, me lave de toutes ces vilaines choses qu'elle me fait vivre, et me font un peu oublier ce qu'elle pense de moi.
Je ne vous dis pas la nuit que j'ai passée, sans mon collier, bien sûr, ma mère l'ayant gardé.

Le lendemain matin, le réveil est difficile. Je suis toute engourdie. Mon père est là, devant son bol de café,enfin son corps est là parce qu'il a l'air de dormir les yeux ouverts. Je n'ose pas lui parler de ce qui s'est passé hier soir. Ma mère n'est pas loin , elle se prépare dans la salle de bain. J'ai mal au ventre, je n'arrive même pas à avaler mon petit déjeuner et surtout, je n'ai pas envie d'aller à l'école. Je ne veux pas que ma mère m'accompagne et qu'elle fasse peur à Sara, comme elle me fait peur à moi. Je ne veux pas qu'elle dise à chaque personne qu'elle va croiser que je suis une voleuse. 

Je me prépare sans entrain, pensant ainsi arrêter le temps. Je voudrais tellement être loin d'ici. Mais rien ne se passe comme je le pensais.C'est mon père qui fait le chemin avec moi. Ma mère a-t-elle changé d'avis? Ou alors, pire, préfère-t-elle débarquer par surprise? Arrivée devant la porte de ma classe, j'hésite à entrer. Sara me voit et me rejoint. Sans perdre une seconde, je lui raconte tout. Ça me fait du bien de vider mon sac mais j'ai quand même un peu peur de sa réaction. Quand je lui dis que peut-être ma mère va venir la voir pour lui demander des explications, elle ne panique même pas. Ça se voit qu'elle ne connaît pas ma mère! Elle me dit;" Viens, on va en parler à la maîtresse! Elle pourra nous aider." Me voilà donc raconter, pour la seconde fois en dix minutes, ma mésaventure à une maîtresse très attentive. J'ai aimé qu'elle me dise que je n'avais rien à me reprocher - à force je commençais à en douter- qu'elle parlerait à ma mère, que tout cela c'était juste un manque de compréhension qui pouvait arriver aussi chez les adultes. Sara aussi me rassure en me disant qu'elle n'a pas peur de parler aux grandes personnes, qu'elle a l'habitude et qu'elle répondra sans crainte aux questions de ma mère.
C'est très bien tout ça, je ne pouvais pas espérer mieux, mais j'ai tout de même du mal à oublier le regard haineux et accusateur de ma mère sur moi. Ça m'obsède. 
Dans le car qui nous amène à la piscine, la maîtresse s'assoit à côté de moi. Je crois qu'elle a senti que je n'étais pas dans mon assiette. Dès le début du trajet, elle me propose de faire une "mini-méditation". Ça me parle et même j'adore ça! Depuis quelques temps, plusieurs fois par semaine, on fait de la médiation en classe. C'est la voix de Jonathan qui nous guide. On peut faire plusieurs méditations différentes. Ma préférée, c'est celle du "super pouvoir": j'imagine une lumière puissante blanche sortant de mon cœur et qui envoie de l'amour à qui je veux.  
Donc, ma maîtresse me propose de faire l'exercice de "la respiration magique" qui est de sentir l'air chaud sortir des narines et l'air froid entrer dans les narines. D'habitude ça me calme bien mais là je n'y arrive pas, mes pensées ne me lâchent pas. Devant mon agitation, elle me propose alors un jeu: "Ferme les yeux, puis écoute le bruit du moteur. Entend ses accélérations, ses ralentissements, touts les petits bruits qui l'accompagnent. Laisse-toi porter!"
Peu à peu, le ronronnement du moteur m'emporte. Je n'entends plus que lui et ça m'apaise, ça me décontracte la tête si bien que je n'ai pas envie d'ouvrir les yeux quand nous arrivons à destination. La méditation, c'est magique! Grâce à elle, le reste de la journée a été plutôt cool. Je n'ai pas ruminé et lorsqu'une mauvaise pensée pointait le bout de son nez, ni une ni deux, je repensais au ronron du moteur.

Ma mère n'est jamais venue à l'école. Je ne sais pas non plus ce qu'elle a fait de mon collier et je n'ose pas encore lui demander. En aurai-je le courage un jour? Pas sûr....

 Sara est toujours ma meilleure amie, ça c'est l'essentiel. Ce qui est chouette aussi c'est que je sais comment vider ma tête maintenant, comment y faire un peu de place pour que je me sente mieux. J'arrive même à y faire du silence. Du coup je profite mieux des petits cadeaux que je reçois, quand j'en reçois...

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