Mon trésor
Mars
1967 - Je ne
sais quelle fée s’est penchée sur mon berceau, mais elle devait être vraiment mordue
de littérature, car depuis ma plus tendre enfance, j’aime écouter la musique
des récits. Je suis fascinée par la magie qui se dégage des mots quand ils s’entrelacent
pour former une histoire.
Septembre
1973 - J’ai six
ans et j’entre en classe de CP. Je sais déjà lire. L’année précédente, ma
maîtresse de Maternelle a repéré ma capacité à déchiffrer toute seule des mots
simples. Avec l’accord de mes parents, elle entreprend alors de m’épauler dans
mon apprentissage. Elle me sollicite avec des petits albums dont les histoires
m’enchantent. Je les dévore inlassablement avec gourmandise, sans avoir jamais
la sensation d’effectuer là un travail laborieux.
N’étant pas aussi
douée pour le graphisme et les mathématiques - qui m’intéressent moins -, on
décida que je ferai tout de même mon année de Classe Préparatoire.
Moi, je n’y voyais
aucun inconvénient car je savais qu’on me confierait dès la rentrée « un
livre de lecture », objet que je désirai ardemment posséder, certaine
qu’il contenait des histoires merveilleuses et passionnantes. Quelle ne fût pas
ma joie lorsqu’il arriva sur mon pupitre ! Quel ne fut pas mon ravissement
lorsque je découvris que le personnage principal se prénommait comme moi !
Je n’avais qu’une envie, l’ouvrir, toucher ces pages colorées, sentir son
odeur, observer les détails de chaque illustration et découvrir les aventures
de ces deux enfants au visage si enjoué et au sourire espiègle.
Ma déception fut égale
à mon engouement. Deux mois après la rentrée, je soupirais chaque fois
qu’arrivait le moment où je devais faire ma lecture. Moi qui espérais
rebondissements, suspens, magie, voyages, aventures, découvertes, sentiments
forts, je ne rencontrais dans ces pages colorées qu’ennui, platitude et
insignifiance.
Ce
« Daniel » et cette « Valérie » avaient pour seule ambition
« d’amener la chèvre à la ferme », « de lire près de la rivière »
ou « de regarder papa fumer sa pipe ».
J’étais désespérée de
tant d’inaction, de passivité enfantine, de médiocrité, d’irrespect pour
l’imaginaire d’un enfant de mon âge ! Je vivais cela comme une trahison.
Heureusement, la vie
nous offre toujours de belles surprises.
La mienne eut lieu le
soir de Noël, au merveilleux moment de l’ouverture des cadeaux qui m’étaient
destinés. L'un d'eux était une très belle édition du conte de Charles Perrault
« La belle au bois dormant ». Je revois très bien son allure :
d’un format important, il arborait une magnifique couverture cartonnée vernie.
Le papier glacé utilisé était épais et sentait bon. Il contenait des
illustrations très réalistes, particulièrement soignées. Ce qui le rendait
encore plus beau à mes yeux était la longue liste de mots qu’il contenait - pas
tous compréhensibles par une petite fille de six ans -, et qui avait le privilège d’accentuer
son côté mystérieux et mon attirance pour lui.
À l’instant même où je le
feuilletais ce soir-là, il effaça tous les autres présents et prit, dès lors, une
place importante dans ma vie.
Il était mon trésor,
mon talisman. Je le protégeais des gestes brusques de mon petit frère impatient
et de la curiosité de ma petite sœur. Je le dissimulais dans un endroit sûr chaque
fois que je devais m’absenter de la maison. Je le manipulais avec précaution et
lui réservais toujours la meilleure place près de moi. Dès qu’une envie me prenait de vouloir le
feuilleter ou le lire, je m’isolais dans un coin, à l’abri des regards et du
bruit. Je le dévorais alors avec intensité et fascination. Parfois, j’étais
obligée de sortir de ma cachette pour demander à ma mère des explications sur
le sens d’un mot, mais je retournais vite en quelques entrechats me mettre à l’abri
des regards pour mieux m’évader en compagnie de mes héros.
Ce manuscrit exclusif
ne m’a aucunement empêchée d’apprécier les autres belles choses qui peuplaient
mon monde : l’éclat d’un lever ou d’un coucher de soleil, la féérie d’une
pluie d’étoiles filantes dans un ciel aoûtien, la splendeur d’un cerisier en
fleurs, la musique lancinante du chant des grillons, l’odeur entêtante du blé
fraîchement coupé … Il n’a pas non plus empiété
sur ma vie d’enfant : j’ai gambadé, escaladé, expérimenté, observé,
exploré ma campagne environnante en compagnie de mes amis d’alors. J’ai aimé,
pour la première fois, un garçon. J’ai appris que la mort emportait aussi les
enfants et que les parents pouvaient ne plus s’aimer.
Toute ma fortune
tenait dans ce conte : il était mon refuge, ma parenthèse, ma bulle
d’oxygène, mon pansement sentimental, mon nid douillet, mon espoir, ma ressource,
mon bien le plus précieux. C’est ainsi que j’ai grandi, en sa compagnie,
prévenue pas ses soins que tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait,
que la patience est la meilleure des armes, qu’il faut toujours y croire car
rien n’est vraiment figé éternellement….
Septembre
1998 -
J’entre en classe de CP, mais cette fois-ci c’est moi qui aie l’importante
responsabilité d’apprendre à lire aux élèves. J’ai une flopée d’albums sous les
bras et dans mon sac. Je suis armée pour tenter d’éveiller à la lecture et à la
littérature quiconque passera le pas de ma porte. J’ai la ferme intention de
rendre ces jeunes lecteurs amoureux des mots et des histoires ! Je veux que
tous les matins, ils trépignent d’impatience à la découverte des intrigues qui
nourrissent les ouvrages.
Je veux qu’ils en
redemandent encore et encore !
Bien naturellement, dans
la bibliothèque de ma classe, mon trésor
a trouvé sa place parmi les autres illustrés. Qui sait, peut-être que son
pouvoir magique agira-t-il une fois de plus, m’aidant ainsi à ouvrir les portes
de l’imaginaire aux hôtes de ma classe.
Moi, j’ai trouvé sur
ma route d’autres livres, d’autres récits qui m’ont aidée à grandir et à garder
intacte ma fascination pour les mots et pour les belles histoires.
La différence est,
qu’aujourd’hui, j’accepte volontiers de les prêter !
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