À chacun son nid
À la faveur d’un clair de
lune, Martin se faufile avec aisance à travers la forêt pour rejoindre son
refuge. L’ambiance à la maison l’a une fois de plus obliger à fuir sa chambre.
Comme à son habitude, lorsqu’il sent qu’il n’a plus la force de subir ces
scènes de cris, il rejoint le monde des arbres, quelle que soit l’heure, pour
se percher le plus haut possible et oublier.
Il la connaît par cœur
cette forêt. Il y est chez lui. Il en connaît les sentiers, les recoins, les parfums,
les bruits, les ombres, les habitants. Son abri est un chêne centenaire - selon
les dires d’un chasseur. Une fois qu’il atteint sa canopée, ses tremblements
cessent, ses larmes aussi, sa colère s’évapore, il redevient un petit garçon
observateur et curieux.
C’est ainsi qu’il a pu constater,
lors de longs moments passés à scruter, que sa forêt changeait au fil des heures.
Au matin, baignée de
rosée, elle se réveille avec ses locataires qui grouillent, qui piaillent, qui
couinent, qui s’agitent. Elle s’habille de rais de lumière et arbore des
couleurs pastelles ou vives, selon les saisons. Puis, quand le soleil est au
zénith, elle semble se calmer et laisser une forme de silence bienfaisant s’installer.
C’est le moment que Martin préfère. Ses sens en éveil captent le moindre mouvement
de feuilles, le plus petit craquement de brindille, l’once d’une nouvelle
essence. Au soir, lorsque la lumière s’estompe, sa forêt paraît plus
majestueuse encore. Les branches se dessinent sur un ciel rosé puis
disparaissent dans l’obscurité. Ses yeux perçoivent encore les racines, le
tronc, la naissance de quelques pousses puis plus rien, comme si le reste des
branchages était avalé par l’infinie noirceur.
La nuit, sa forêt peut en
terrifier certains avec ses bruits étranges et ses ombres déformées, mais pas
Martin. Il s’y sent à l’abri plus qu’ailleurs. Lui, ce sont les cris et les
mots chez lui qui le terrorisent.
Fugue après fugue, il a
peu à peu cartographié dans sa tête l’emplacement des feuillus qui peuplent sa
futaie et qu’il a réussi à identifier grâce à internet. Il sait où trouver les
chênes, les châtaigniers, les hêtres, les érables, les charmes. Il a aussi
répertorié quelques résineux. Chaque arbre a un trésor caché dont il remplit régulièrement
ses poches : des fruits à foison, des champignons de toutes sortes, des
feuilles colorées, des samares, des fleurs…Sa cueillette est raisonnée eu égard
aux autres hôtes de ce bois. Et lorsque la saison est moins généreuse, il stoppe
sa collecte et s’attarde plutôt à l’observation du tronc, des racines et des
feuilles de ses protégés. C’est ainsi qu’un jour, sur un frêne majestueux, il a
remarqué qu’un bout d’écorce avait disparu, révélant une cicatrice assez
ancienne sur le bois lisse. Il a ressenti alors de la compassion pour l’écorché
ainsi que du respect. Il s’est dit que cette blessure ne l’avait pas empêché de
grandir pour devenir beau et fort. C’était plutôt encourageant. Il est vrai que
la forêt lui apprend beaucoup. Bien plus
que l’on ne croit. Différentes espèces vivent
sur le même territoire sans empiéter sur l’autre, dans une entente cordiale, les
uns peuvent être utiles aux autres, chacun offre ce qu’il a de mieux… Il peut
s’y passer des choses cruelles bien sûr, la mort et la maladie ont leur place
ici aussi, mais pas de quoi traumatiser un enfant de cet âge.
En hiver, quand la vie
forestière est au ralenti, Martin patiente. Il sait qu’est venu le temps du
repos pour ces grands végétaux, pour mieux renaître après. C’est ce qu’il apprécie chez les arbres :
leur perpétuel renouvellement. Ça le rassure. Il sait qu’ils ne l’abandonnent
pas, qu’ils le quittent juste pour un petit temps de rien du tout.
La forêt ne lui a jamais fait
de promesses futiles, ni de coups bas, encore moins de remontrances. Elle
l’accepte, l’enveloppe et lui laisse le temps de grandir.
Parfois, Martin se prend à
rêver. Il sait que, quelque part, il existe des arbres confiseurs, des arbres à
palabres, des arbres à thé, des arbres à papillons, des arbres à chats…..Il adorerait
les voir en vrai, les toucher, les sentir, les étreindre. Alors, il élabore des
voyages futurs, des expéditions à travers le monde pour avoir une chance de les
rencontrer. Il a déjà sélectionné quelques destinations. C’est son secret à
lui, son défi, ce qui l’aide à grandir : partir, élargir sa famille d’arbres
et pourquoi pas, un jour, les réunir autour de lui, dans un havre de paix.
En attendant, Martin,
l’arbuste, pousse et se déploie en esquivant les vents violents et les
bourrasques.
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