La maison

 

 

 





Vendredi soir. Il fait presque nuit. Nous suivons une voiture qui nous guide jusqu’à notre destination. Elle roule vite,  nous la perdons de vue de temps en temps dans les lacets de la route. Nous ralentissons, puis soudain la maison. Il fait sombre, on ne distingue pas grand-chose, ici pas de pollution lumineuse. Les aboiements d’un chien nous accueillent. L’homme sort de sa voiture et vient à notre rencontre. Je le connais peu. Un ami proche de ma conductrice. Le gîte et le couvert nous sont offerts pour deux nuits. Avec chaleur, il nous ouvre sa porte, et entrons.

Le vide. Il remplit tout l’espace. Il se cogne partout, comme le son de nos voix. Quelques très beaux meubles dans d’immenses pièces. Ici, on ne manque pas de place. Je crois deviner l’emplacement d’objets qui ne sont plus là. Des présences qui ne sont plus là. Quelque chose crie son absence, hurle son départ.

Visite de la maison. Un impressionnant couloir distribue le coin nuit. Petite, j’aurais certainement eu peur de ce passage. Moi et mes terreurs nocturnes. On s’installe dans nos chambres respectives. Ces petits mondes où chacun crée son propre univers, son refuge. Celui que j’ai choisi me va bien. Il me rappelle la mienne quand j’avais quinze ans.

On se retrouve autour de la table pour un apéritif original : kéfir fait maison et terrine préparée également par notre hôte sur pain grillé. Ils discutent, je m’acclimate, la gêne ressentie d’être sur un terrain inconnu se dissout. Dans cette cuisine, le vide laisse la place aux confidences, aux rires, aux maux que l’on exprime pour s’alléger.

Et puis arrive le moment. L’homme et celle qui m’accompagne vont me donner un soin selon la méthode Rességuier. La curiosité : une partie intégrante de ma nature. Aussi, lorsque j’ai eu des brides d’informations sur ce soin, elle s'est immédiatement mise aux aguets. Il fallait que je vive cette expérience. J’ai patienté quelques mois. Je suis maintenant à quelques minutes de m’y essayer et je pétille d’impatience.

Une pièce carrée, une ambiance apaisante, calfeutrée. Je m’allonge sur une table, un léger sentiment d’inquiétude en prime. J’ai l’intuition que ce moment va être intense et j’en suis déjà gênée. Une couverture posée sur moi me réconforte. Je suis comme protégée. Elle d’un côté, lui de l’autre. C’est l’homme qui prend les commandes. Sa voix grave est posée, réconfortante. Je n’ai plus peur. Je lâche tout contrôle, je suis en confiance. Et puis, ses mains se posent sur mon bras droit, je crois. Je ne suis plus sûre. À partir du moment où nos énergies interagissent, c’est mon corps qui s'exprime. Ma tête et moi, on ne peut qu’observer et ressentir. D’abord, la sensation d’une lourde chape de plomb que l’on enlève sans prévenir de ma cage thoracique. Je prends une grande inspiration comme un apnéiste qui remonte après un temps trop long sous l’eau. Comme le nouveau-né à son entrée dans le monde. Puis une pression sur le sternum, terriblement douloureuse, des spasmes, des tensions traversent tout mon corps. Je me tortille d’inconfort. Je me cambre même. Puis le calme. Les mains continuent leur danse. Elles se posent sur mon bas-ventre. Un amalgame s’y forme. Sombre. Une boule, une grosse boule noire. Je la sens, elle est désagréable. Comme aimantée, elle suit les mains de l’homme qui remontent lentement. J’ai envie de crier, de hurler ma douleur ; seules quelques larmes sortent. « Qu’est-ce que ça crée », me dit la femme d’une voix douce. Je ne trouve pas les mots. J’ai juste envie de crier, cracher cette masse. L’ascension se prolonge jusqu’à ma poitrine. Je voudrais vomir, ma gorge est nouée, parler est douloureux. Je ne comprends pas ce qui se passe, je veux en finir avec cette lourdeur, qu’elle sorte de mon corps. Après un certain temps, long, court, je n’en sais rien, elle finit par s’évaporer. J’aurais voulu la cracher de toutes mes forces, mais les mains de l’homme m’ont épargné cette peine. Tout en douceur.

Retour à la réalité. Quelques échanges en fin de séance me permettent d’émerger. Je suis fatiguée, frigorifiée, mais légère. Nettoyée. Une fois debout, je me sens toute petite. Vraiment toute petite. C’est moi, enfant. Sans cette masse en moi. Vierge encore de toutes ces émotions sombres. Cette belle époque de ma vie avant que tout commence à vriller. Que mon insouciance disparaisse. Que je doive apprendre à encaisser pour ne pas tomber. Qu'il est si bon de ressentir à nouveau cet état d'être...
Je pensais que les quelques années de thérapie avaient fait le travail, il faut croire que non. Cette boule noire exorcisée ne peut être que la mémoire de mes traumas, de mes peurs, de mes angoisses. Elle envahissait mon ventre. Elle prenait de l’ampleur chaque fois que je ne me sentais pas bien, elle s’effaçait un temps dans le meilleur des cas. Des années de souffrance, d’examens, de régimes alimentaires particuliers, et toujours ces maux de ventre…

Je claque des dents pendant que j’essaye de comprendre ce qu’il vient de se passer. Eux tentent d’en savoir plus sur mes ressentis, mais je ne trouve pas mes mots. Pourtant, une chose est sûre, immédiatement : je ne suis plus la même. Quelque chose a quitté mon corps. Tout mon être est allégé. Désormais, plus rien ne sera pareil.

 Je les regarde et me sens envahie par une vague de reconnaissance : ces deux personnes ont guidé ma délivrance.

Un voile s’est levé, j’y vois mieux, je n’ai plus peur, je sais même où je vais. J’ai tout laissé dans cette pièce carrée.

Quant aux spasmes et aux gesticulations, on me le confirme, ils étaient dans ma tête. Seuls mes yeux et mes mains ont bougé…

La nuit qui a succédé à ce soin, j’ai beaucoup rêvé. Mais celui dont je me souviens le mieux est le suivant : l’homme entre avec son chien qui aboie dans la chambre où je suis installée. Il le rassure en disant « Calme-toi, tu ne risques rien ». Aujourd’hui, j’ai compris ce rêve : lors de cette séance, il est entré dans la partie la plus intime de mon être, à l’endroit même de mon essence véritable, pour y faire le ménage. Cette boule noire ne l’impressionnait pas. Il savait qu’ils en viendraient à bout.

J’ai eu raison d’écouter ma curiosité. Toujours s’écouter. Elle m’a guidée vers cette maison, sans vraiment savoir pourquoi. Maintenant je sais.

Début d’un nouveau cycle. Transformation intérieure. Depuis ce soin, mon ventre est plus souple, dégonflé. Mon corps est en paix. Ma tête aussi. Je revis. Je vis.

Dimanche. Je quitte la maison. J’y laisse énormément, mais ça ne m’appartient plus. Il fait soleil. Je repars légère, nouvelle, un peu mélancolique. Normal, on ne peut pas vraiment oublier un endroit qui nous sauve, ni ceux qui y ont contribué. Je voudrais que cet instant reste suspendu au temps. C’est si bon de respirer sans entraves.


Qu’est-ce que ça crée ? Le sentiment que ce qui est bon pour moi, l’Univers trouve toujours le moyen de le mettre sur mon chemin. Il me suffit juste d’y prêter attention.    

 

Prêter attention aux petites choses...

 


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