Il y a quelques jours, j’ai terminé la lecture d’Une bouffée d’ermite écrit par Frère Antoine. Un ami m’avait prêté ce livre après avoir appris que j’avais rencontré cet homme dans mon enfance. Frère Antoine, un moine qui avait choisi de se retirer de l’institution officielle pour désaccord profond, avait vécu quelques années en ermite sur le rocher de Roquebrune-sur-Argens, non loin de Puget-sur-Argens où vivaient mes grands-parents.
Depuis ma lecture terminée, je comprends mieux pourquoi ma grand-mère, mémé Lucette, aimait tant cet homme. Elle lui rendait visite plusieurs fois dans l’année, pour discuter avec lui et lui faire quelques offrandes, notamment des tablettes de chocolat.
Je me rappelle très bien de la fois où nous l’avons accompagnée lors d’une de ses visites, mes parents et moi. C’était un après-midi d’août. Je me souviens de la chaleur écrasante, du long chemin pierreux qui ne cessait de monter - beaucoup trop éreintant pour mes petites jambes d’enfant -, de ce paysage varois aride et plombé par la température étouffante, des odeurs enivrantes de la garrigue, du chant des cigales qui nous encourageaient, des gens qui redescendaient silencieusement du lieu, un sourire béat sur leur visage écarlate. Je peux ressentir encore ma crainte de rencontrer cet homme particulier qui vivait dans une grotte : dans mon esprit d’enfant, c’était impossible de vivre dehors, à moins d’être un sauvage, ou une bête…
Quand nous sommes arrivés en haut de la colline, ma grand-mère a voulu que ce soit moi qui lui offre les tablettes. Je ne sais pas pourquoi. Je n’avais pas tellement envie de l’approcher, il m’impressionnait et beaucoup de monde l’entourait. Mémé Lucette m’a encouragée en me poussant doucement par l’épaule, j’ai avancé et j’ai déposé délicatement le chocolat sur une table en bois, en essayant d’être le plus invisible possible. Au moment où j'esquivais un retour discret, j’ai senti un regard se poser sur moi. Je me suis retournée quand ses yeux ont plongé dans les miens… Un regard profond, intense, bienveillant, sa façon de dire « merci » et bien d’autres choses. Je lui ai rendu son sourire et j’ai couru retrouver les miens. Cet échange furtif effaça immédiatement la peur que je ressentais, d’autant que nous avions un point commun : je partageais son goût prononcé pour le chocolat. Nous sommes restés près de la grotte le temps de récupérer, boire et manger quelques biscuits, tout en respectant le recueillement du lieu, et profiter aussi du merveilleux point de vue que le site nous offrait. Mon grand-père a échangé quelques blagues avec Frère Antoine, je les revois rire ensemble, mais je ne me souviens plus desquelles. Puis nous sommes repartis.
Ce livre a été pour moi une véritable madeleine de Proust. Il a soulevé le voile qui masquait tous ces petits souvenirs pourtant si agréables. Des images ont refait surface, de paysages, de visages familiers, des odeurs même... Je suis très heureuse de les avoir retrouvés. Tout au long de ma lecture, j’ai beaucoup repensé à ma grand-mère qui me manque terriblement. C’était une femme énergique qui avait élevé huit enfants, et qui avait encore du temps pour ses petits-enfants. J’ai l’âge de sa dernière fille - ma tante, donc. Elle m’a souvent gardée pour que nous puissions jouer ensemble. Mémé Lucette était très pieuse, mais pas à la manière des bigotes intransigeantes à l’esprit étroit. Elle avait un cœur ouvert et généreux, n’imposait ni ses croyances ni ses pratiques aux autres, tout comme Frère Antoine finalement. Elle aimait son prochain, sans jugement. J’espère honorer moi aussi cet héritage familial. Pour ma communion solennelle, elle m’avait offert un médaillon de la Vierge Marie. Je le porte parfois quand j’ai besoin de me sentir protégée, soutenue… par ces deux femmes, Lucette et Marie, symbole de l’amour universel.
Août 2025
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