“Le parfum d’un être sans quiconque pour le remarquer n’est qu’une vague odeur de vie.”
Elle
Dans
le grand champ florifère qui peuple ce monde, je suis une fleur sans parfum.
J’ai été semée, cultivée puis ramassée, pourtant je ne suis qu’en partie
éclose. A mon épanouissement, manque l’élément unique qui rend reconnaissable
chaque individu, mon effluve. Certes, on me trouve belle, on me regarde, on me
désire et l’on me prend, mais aucun n’a su percevoir ma fragrance distincte des
autres graminées de la planète. Et cela par ma propre obstination à la cacher
au fond de moi.
Après
une énorme déception sentimentale, j’avais pris le large. Mon médecin, mon chef
et mon psy s’étant mis d’accord, sans se concerter, pour m’accorder un break de
reconstruction “nécessaire”.
Mon refuge, un studio gracieusement prêté par une
collègue compréhensive, était un petit havre de paix situé à Boulogne sur Mer,
avec vue plongeante sur l’immense étendue bleue.
Frappée
déjà d’un sentiment d’abandon dans mon enfance, quand mon père disparut un
jour pour un autre amour (...que le mien !), je vivais cette séparation comme
la répétition de cette souffrance. Moralement et physiquement, j’étais lasse de
moi et des épreuves récurrentes de ma
vie.
Pourtant,
dès mon arrivée dans cette ville inconnue plongée dans la somnolence de
l’hiver, mon fardeau me parût moins lourd : le bleu gris de la mer, le bruit
doucereux des vagues, l’odeur parfois nauséabonde des algues et des coquillages
échoués, tous ces éléments opéraient comme un cataplasme anesthésiant mes
plaies psychiques.
Ne pas
laisser errer mes pensées, s’occuper, se faire plaisir étaient mes leitmotivs.
Un emploi du temps scrupuleux que je m'étais fixé, organisait donc mes
journées : le matin était consacré aux soins du corps (et par extension, de
l’âme), masques, gommages, épilations, massages...le grand nettoyage de mes
trente-six printemps !
L’après-midi,
mon anatomie revigorée était invitée à se bouger, lors d’interminables
promenades ou de longueurs à la piscine municipale.
Le
soir, enfin, une nourriture spirituelle m’attendait. Une pile de livres consciencieusement
achetés avant mon départ, s’offrait à moi. Je m’y plongeais jusqu’à l’épuisement, les mots nourrissant mon imaginaire et me détournant de mes maux.
Je
pratiquai aussi le plaisir “immédiat”, celui qui s’immisce insidieusement en
notre être pour se loger aux endroits
les plus sensibles et procurer des sensations délectables. Un moment gratuit et
intense... Il ne me demandait pas grand investissement, simplement un abandon
aux petits bonheurs, une relaxation de l’âme, du corps qui devenait peu à peu
le terrain de réception du positif. Savoir m’écouter puis faire écho à ce qui me
procurait du bien, j’apprenais à m’aimer, à me respecter, à me donner de l’importance.
L’étalon du bonheur n’était plus la rumeur extérieure, la conscience
collective, il était soudain ma musique intérieure, ma propre mélodie du bonheur,
un petit rien, insignifiant mais qui était le mien. La
solitude aidait à cette écoute. Laisser remonter à la surface de ma conscience
les désirs, les plaisirs vécus ou inassouvis, petits ou grands, avouables ou
inavouables, réalisables ou inespérés. Me l’avouer, pointer mon doigt dessus,
c’était apprendre à me connaître, à déterminer les contours de mon moi, de ce
qui me fera avancer, ce qui nourrira mon épanouissement.
Au fil
des jours, je remontais du fond des ténèbres de la dépression et me sentais plus en harmonie avec mon être, plus en paix avec moi-même. Je reprenais le
dessus, redevenais maître des lieux. Un réveil en douceur de mes sens et de mon
corps.
Mon
appartement situé au premier étage d’un immeuble rénové, m’offrait un voisinage
désert, les locations étant délaissées pendant ces périodes de l’année. Peu de
rencontres, donc, et de bruit dans ce lieu de réclusion choisi.
Cela
ne me gênait aucunement. Comment ne pas mieux se retrouver si ce n’est seule
avec, comme unique présence, la sienne !
Une
bonne semaine s’était écoulée depuis mon arrivée. L’appétit, le sommeil et mon
sourire aux petits riens de la vie étaient peu à peu de retour. Je reprenais
goût à mon existence.
Après
une douce journée passée à me baigner de soleil et d’alizés maritimes, j’avalai
des coquillages achetés le matin sur le port. Puis, galvanisée par cette
succession de plaisirs simples, j’optai pour une sortie nocturne, le dernier
film de Jeunet étant à l’affiche.
Depuis
sa sortie, au moins une fois par mois, je m’offrais ce petit concentré de
bonheur, d’inouïe, de poésie..... L’héroïne me réconciliait avec la vie et l'espèce humaine. Jeunet me berçait de sa lumière chaleureuse et optimiste. Un
hymne à l’amour, à la vie. Le fil qui ne me tenait pas trop loin du bord...
Il ne
m’était pas trop difficile de mettre le nez dehors et de rencontrer des
habitants de cette planète, mais c’était à la condition d’être la moins visible
possible. C’est pourquoi je sortis, fichée d’un béret de laine et d’une grosse
écharpe pour me camoufler du froid et des regards. Un anonymat choisi.
Merci
à l’hiver qui poussait les couples à rentrer dans leurs foyers. L’amour
transparaît moins à cette période. Les corps se dépêchent de retrouver chaleur
et confort derrière les murs familiaux, loin de mes regards. Etre seule dans
ces grandes rues froides m’arrangeait. Au moins, je n’enviais personne. Et je n’étais
guère pressée de voir arriver les beaux jours avec les amoureux qui vont de
pair ! Contre toute attente, le froid et la nuit étaient à ce jour mes alliés.
Je
faisais le pied de grues parmi quelques congénères, tout aussi gelés que moi,
devant le cinéma depuis quelques minutes.
J’attendais,
attentive aux bruits de la vie citadine quand une bousculade dans la file où je
me trouvais me fît perdre l’équilibre. Je le récupérai de justesse et me
retournai pour comprendre ce qui avait bien pu interrompre le cours de mes
pensées. La solitude rend parfois sauvage. Trop de temps passé seule avec,
comme unique échange, sa propre voix et son reflet dans le miroir obscurcit
l’âme communicante. On ne fait confiance qu’à soi même, le reste n’étant qu’agression
: le téléphone qui sonne, la boulangerie fermée, les regards curieux, les cris
des enfants.... Moi, si sociable dans une vie antérieure, je devenais hermétique
à la présence des autres, pour ma sauvegarde, peut-être.
Heureusement,
ce jour-là, je sortis de cette torpeur.
Le corps
d’un homme gisait sur le sol tout près de nous...
j'adore ton style d'écriture ! j'attend la suite :)
RépondreSupprimerChic! Pour la suite, patience...
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